Frais de justice : quel traitement au-delà de nos frontières ?

Depuis plusieurs mois, les relations entre les mandataires de justice et l’AGS se sont tendus et, comme le rappelle le rapport Ricol, remis le 15 avril 2021, les discussions achoppent sur plusieurs points, notamment sur le rang des frais de justice dans la répartition dans le cadre d’une liquidation judiciaire. En effet, les dispositions en vigueur de l’article L. 643-8 alinéa 1er du Code de commerce prévoient qu’après distraction des frais et dépens de la liquidation judiciaire et des subsides accordés au débiteur personne physique ou dirigeants ou à leur famille, la répartition s’opère selon l’ordre prévu par l’article L. 641-13, II et III du Code de commerce, ce qui conduit à ce que les frais de justice soient classés après le superprivilège des salariés dans la répartition et ce, sans préjudice des droits de rétention, opposables à la procédure. Or, compte tenu de l’importance récurrente des montants couverts par le superprivilège des salariés dont bénéficie par subrogation l’AGS, les frais de justice qui englobent les honoraires des mandataires de justice sont réduits, dans la répartition, à la portion congrue.

Le projet d’ordonnance de réforme du droit des sûretés transposant en droit français la directive (UE) n° 2019/1023, tenant compte des critiques des praticiens des procédures collectives, propose de modifier l’article L. 643-8 afin d’une part, de donner une définition précise des frais de justice englobant tant les rémunérations, frais et débours des mandataires de justice, que la rémunération des auxiliaires de justice et d’autre part, de faire primer lesdits frais de justice sur le superprivilège des salariés. Estimant que ce projet avait pour effet de rétrograder son rang de privilège, l’AGS a exprimé son désaccord.

 

Or, pour enrichir la réflexion, il n’est pas inutile de savoir quelle est la situation dans les droits nationaux de nos voisins de l’Union européenne.

A cet égard, après examen par Emmanuelle Inacio et l’auteur de ces lignes du traitement des frais de justice dans les droits de quinze Etats membres de l’Union européenne (voir sur le site Internet de l’IFPPC, la consultation sur le traitement des frais de justice en droit comparé européen avec un tableau en annexe présentant l’état du droit dans chaque Etat membre), il en ressort les conclusions suivantes.

En premier lieu, tous les droits nationaux examinés englobent dans les frais de justice les rémunérations des praticiens de l’insolvabilité. En deuxième lieu, une très large majorité des droits nationaux attribuent une priorité de premier rang au paiement des frais de justice. Les droits allemand, irlandais et hollandais font primer les créanciers garantis sur les frais de justice mais ces derniers priment les créances des organismes de garantie des salaires. Dans tous les cas, ces trois droits nationaux exigent, pour que soit ouverte une procédure collective, que les actifs du débiteur soient suffisants pour couvrir en tout ou en partie les frais et dépens de la procédure, ce qui contrebalance l’absence de priorité de premier rang des frais de justice. En troisième lieu, le droit français en vigueur est isolé puisqu’il est le seul droit national avec le droit espagnol à accorder une priorité de paiement au superprivilège des salariés sur les frais de justice.

Il en résulte que si une harmonisation européenne intervenait en ce domaine, elle se ferait nécessairement dans le sens retenu par la très grande majorité des Etats membres. Il serait donc opportun que le droit français rompe son isolement et saisisse l’occasion de la transposition de la directive n° 2019/1023 pour s’engager dès à présent dans cette voie en définissant d’une part les frais de justice et en les faisant prévaloir sur le superprivilège des salariés, soit en leur attribuant un rang de priorité supérieur, soit en prévoyant leur règlement avant répartition de l’actif du débiteur entre les autres créanciers, donc par distraction, comme l’admettent déjà plusieurs Etats membres.

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