Reprise de la société débitrice par ses propres dirigeants et/ou associés

L’article 7 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020, n’a peut-être pas retenu, en doctrine, l’attention qu’il mérite probablement. Ses dispositions modifient, certes, en principe, seulement jusqu’au 31 décembre 2020, l’article 642-3 du Code de commerce afin d’élargir au débiteur et à l’administrateur judiciaire le droit, jusque-là réservé au seul ministère public, de solliciter par requête le tribunal aux fins qu’il puisse autoriser, par un jugement spécialement motivé et après avoir demandé l’avis des contrôleurs, la cession à l’une des personnes visées au premier alinéa de l’article précité auxquelles il est fait, en principe, interdiction de présenter une offre de reprise et d’acquérir, dans les cinq années suivant la cession, tout bien compris dans la cession. Selon l’article 7, le droit de présenter une telle requête n’est étendu au débiteur et à l’administrateur judiciaire (mais – on le remarquera- non au liquidateur) que « lorsque la cession envisagée est en mesure d’assurer le maintien d’emplois ».

En revanche, la pratique s’est emparée de ces nouvelles dispositions et en a déjà fait usage dans plusieurs dossiers de restructurations d’importance.

 Dans plusieurs cas, sur le fondement de l’article 7 précité, des dirigeants et/ou associés de sociétés débitrices ou des membres de leur famille ont vu ainsi leur offre de reprises, généralement faite par l’intermédiaire d’une société créée par eux à cet effet, acceptée par le tribunal après que celui-ci, sollicité par la société débitrice qu’ils dirigeaient, les avait relevés de leur interdiction de principe de présenter une offre.

Ce qui n’a pas manqué de soulever l’opposition de créanciers, voire de salariés agissant dans le cadre de leur CSE, ceux-ci invoquant non seulement l’immoralité de la situation mais encore le coût économique à leur détriment ou au détriment de l’Etat puisque de telles reprises permet, selon eux, aux anciens dirigeants et associés de se débarrasser à bon compte du passif de leur société, ce passif comprenant généralement pour une large part des dettes fiscales et sociales. Dans l’une de ces affaires, une QPC a même été posée au sujet des dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020, au regard du principe constitutionnel de l’égalité devant les charges publiques. Même si cette demande de QPC n’a pas prospéré, la cour d’appel qui en avait été saisie ayant estimé qu’il n’y avait pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation (cf. CA Montpellier, 15 septembre 2020, n° RG 20/03672), elle témoigne, néanmoins, de l’opposition que suscitent ces nouvelles dispositions.

Pour autant, sont-elles à ce point choquantes ? Il nous semble qu’il convient d’être plus modéré et surtout de restituer à ces dispositions leur exacte portée et leur juste mesure. Elles n’instituent pas une nouvelle exception au principe d’interdiction des personnes visées par l’alinéa premier de l’article L. 642-3 du Code de commerce. Cette exception est absolument identique à celle qui existait avant l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020. Elle ne modifie pas non plus le pouvoir du tribunal relatif à l’autorisation de la cession à l’une des personnes visées à l’alinéa 1er de l’article L. 642-3 qui demeure, pour le tribunal, une simple faculté qu’il doit d’ailleurs « spécialement motivée » et jamais une obligation même si la condition d’assurer le maintien de l’emploi est remplie par la proposition de reprise.

En réalité, la seule innovation réside dans l’extension des personnes pouvant présenter une requête en ce sens au tribunal. Désormais, outre le ministère public, le débiteur et l’administrateur judiciaire peuvent faire une telle requête mais, pour ces deux derniers, uniquement lorsque la proposition de reprise est susceptible d’assurer le maintien d’emplois alors que le ministère public peut présenter sa requête même si la proposition de reprise n’assure pas prioritairement le maintien d’emplois. Surtout, le fait de pouvoir présenter une requête n’anticipe en rien sur le sort qui lui sera réservé par le tribunal qui, comme précédemment, indiqué conserve toute liberté de la refuser même si la condition de maintien d’emplois est vérifiée par la proposition de cession. De plus, si on ne peut exclure complètement que le tribunal puisse céder à une forte pression en présence d’enjeux économiques importants, le rôle du ministère public doit rassurer. En effet, si la requête est acceptée, le ministère public qui aura pu prendre connaissance de son contenu puisque sa présence aux débats est rendue obligatoire par l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020, peut s’y opposer par un recours suspensif. Cette faculté de recours suspensif implique, en réalité, que le ministère public soit, sinon associé étroitement à la démarche du débiteur ou de l’administrateur judiciaire, à tout le moins, qu’il n’y soit pas hostile. C’est un garde-fou important qui doit inciter l’initiateur de la requête à une concertation avec le ministère public, à peine de voir ce dernier bloquer, au moins temporairement, le processus de cession. Il en résulte que si le ministère public perd, en la matière, son monopole d’initiative, il acquiert un pouvoir de blocage, a posteriori, qui est rassurant. Ainsi, loin du fantasme de la reprise par un dirigeant de son entreprise au frais de ses créanciers privés et publics, l’article 7 institue, pour la durée de la période de crise, une souplesse opportune mais limitée dans sa portée et sous contrôle étroit du ministère public. On peut donc regretter que le Législateur ait cédé à la pression médiatique et n’ait pas prévu de prolonger au-delà du 31 décembre 2020 cette disposition comme il ressort de l’article 43 ter du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique qui prolonge jusqu’au 31 décembre 2021 que les seuls articles 1 à 6 de l’ordonnance du 20 mai 2020.