Ordonnance modifiant le livre VI du Code de commerce : une transposition sans révolution

L’ordonnance portant modification du livre VI du Code de commerce annoncée par la loi PACTE et tant attendue depuis plus de deux ans a, enfin, été publiée au Journal Officiel du 16 septembre 2021. Datée du 15 septembre 2021, elle porte le numéro 2021-1193 et sa publication est accompagnée de celle de l’ordonnance n° 2021-1192 du même jour réformant le droit des sûretés et des rapports respectifs au Président de la République.

Transposant la directive n° 2019/1023 du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, l’ordonnance n° 2021/1193 ne bouleverse pas le droit français des entreprises en difficulté, de beaucoup s’en faut. Le Gouvernement a ainsi mis la pédale douce en ne touchant pas à l’organisation actuelle du livre VI du Code de commerce. Il Partant du principe que le droit français intégrait déjà de nombreuses exigences de la directive, les rédacteurs de l’ordonnance ont seulement cherché à introduire les nécessaires modifications qu’implique la directive n° 2019/1023 tout « en conservant les atouts forts du droit français des entreprises en difficulté et la diversité des outils mis à la disposition des praticiens et des entreprises » selon le rapport au Président de la République. C’est le service minimum en matière de transposition.

On est donc loin d’une révolution du droit des entreprises en difficulté avec, par exemple, une application généralisée des classes de créanciers. Au lieu de cela, sans surprise pour ceux qui ont suivi les projets d’ordonnance ayant circulé, ce n’est qu’une simple révolution de palais qui est opérée. L’harmonisation approfondie des droits des États membres de l’Union européenne attendra donc, chaque droit national conservant ses atouts et la diversité de ses outils, ce qui n’est pas une bonne nouvelle sur le plan européen, la pratique du forum shopping ayant encore de beaux jours devant elle.

Il ne faudrait cependant pas jeter le bébé de la réforme avec l’eau de ce bain quelque peu décevant. L’ordonnance modifie, à bien des égards, utilement le livre VI du Code de commerce même si l’on peut regretter qu’elle n’aille pas toujours assez loin.

Bien évidemment, le cadre très limité du présent éditorial ne permet pas de faire une analyse complète de la réforme et l’on doit se contenter de quelques observations sans aucune prétention d’exhaustivité, faites à chaud, au lendemain de la publication du texte.

En allant du préventif vers le curatif et donc en commençant par la conciliation, on relève deux modifications importantes. D’une part, le débiteur peut, désormais, demander au juge un délai de grâce dès lors que le créancier n’accepte pas la demande du conciliateur de suspendre l’exigibilité de sa créance et donc, avant même toute mise en demeure ou poursuite du créancier (nouvel alinéa 5 de l’article L. 611-7). D’autre part, sans égard pour la jurisprudence, un nouvel article L. 611-10-4 consacre, en disposant que la caducité ou la résolution de l’accord amiable ne prive pas d’effets les clauses dont l’objet est d’en organiser les conséquences, la possibilité de prévoir dans l’accord de conciliation les conséquences de son éventuelle résolution. 

En poursuivant, on découvre la nouvelle procédure de sauvegarde accélérée, issue de la fusion des anciennes sauvegarde accélérée et sauvegarde financière accélérée, cette dernière disparaissant (ce qui obligera la France à solliciter la modification de l’annexe A du règlement (UE) 2015-848 sur les procédures d’insolvabilité), cette nouvelle procédure étant instituée comme réceptacle français des cadres de restructuration préventive prévus par la directive n° 2019/1023. Cette procédure, dorénavant, ouverte à tout débiteur, sans autre condition que la certification des comptes par un commissaire aux comptes ou leur établissement par un expert-comptable, est aussi la seule dans laquelle est mise en œuvre une application généralisée des classes des créanciers désignées dans l’ordonnance par l’expression de « classes de parties affectées ».

Pour la sauvegarde (de droit commun) et le redressement judiciaire, on retiendra la pérennisation attendue du privilège dit de procédure pour les apports en trésorerie faits pendant la durée de la procédure ou ceux qui doivent être faits pour l’exécution du plan arrêté ou modifié. On retient aussi l’institution des classes de parties affectées dont l’application est cependant limitée, selon le nouvel article R. 626-52 du Code de commerce, aux procédures des entreprises atteignant les mêmes seuils que ceux de la compétence des tribunaux de commerce spécialisés (250 salariés et 20 millions de chiffre d’affaires net ou un seuil unique de 40 millions de chiffre d’affaires net). C’est dire que, dans la pratique, l’immense majorité des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire échapperont complètement à l’application de l’une des principales innovations de la réforme. En revanche, pour les débiteurs concernés par cette innovation, « l’application forcée interclasses » pourra être mise en œuvre et permettra, par exemple, d’imposer, sous certaines conditions, aux associés de la société débitrice, regroupés au sein d’une classe spécifique de créanciers, un plan prévoyant des modifications de capital par décision du tribunal valant modification des droits des associés et de leur participation dans le capital qui seront ainsi dilués sans qu’ils puissent s’y opposer (C. com., art. L. 626-31-1).  

Enfin, dans le cadre de la liquidation judiciaire, la réforme acte la victoire de l’AGS sur les praticiens des procédures collectives qui avaient pourtant démontré l’intérêt de faire prévaloir, dans le classement des créanciers, le paiement des frais de justice lato sensu, en ce compris les honoraires des praticiens, sur le superprivilège des salariés. Alors que les projets d’ordonnance qui avaient circulé laissaient un espoir d’évolution, le texte définitif de l’ordonnance conserve, à l’article L. 643-8, pour le superprivilège des salariés, un rang supérieur à celui des frais de justice. Là encore, l’harmonisation attendra puisque le droit français fait sur ce point complètement bande à part par rapport aux droits des autres États membre de l’UE (V. Rev. proc. coll. 2021, repère 3).