Vin et arbitrage

Intervention de Michel Menjucq au colloque “In Vino, Arbiter”: International Arbitration, from the Vineyard to the Cellar, organisé le 20 février 2018 by Jones Day Paris and the Paris Very Young Arbitration Practitioners (PVYAP)

Il n’est pas inutile, en préalable, de définir le vin lui-même.
Le terme vin viendrait du sanskrit vêna (« aimé ») qui serait à l’origine des mots désignant le vin dans la plupart des langues européennes : vinum en latin, wine en anglais, wein en allemand, vino en italien et en espagnol (vinho en portugais)… .
En grec ancien, le mot vin se traduisait Oînos (oeno).
Mais, plus pertinent pour nous, il existe une définition juridique du vin qui trouve son origine dans la loi Griffe du 14 août 1889 selon laquelle le vin « est le produit exclusif de la fermentation du raisin frais ou du jus de raisin ».
Cette loi a été abrogée mais une définition similaire a été reprise en droit européen (annexe XI ter (point) du règlement OCM unique n° 1234/2007) selon laquelle « on entend par « vin » le produit exclusivement obtenu par fermentation alcoolique totale ou partielle de raisins frais, foulés ou non, ou de moûts de raisins ».

Il en résulte que deux éléments caractérisent le vin :
– L’existence d’une fermentation alcoolique (cad la transformation du sucre en alcool et en dioxyde de carbone par un champignon microscopique, la levure),

– Le produit de base doit être exclusivement du raisin.

Il s’en déduit les spécificités du droit vitivinicole.

La première spécificité réside dans ses sources qui, pour les vins français et plus largement pour les autres Etats producteurs européens, sont devenues presqu’exclusivement européennes.
Ainsi, la règlementation vitivinicole est désormais issue de règlements européens dénommés « OCM » pour « Organisation Commune du Marché » régissant l’ensemble du secteur agricole. Le règlement OCM actuellement en vigueur étant le règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 du Parlement européen et du Conseil.
Jusqu’au règlement précité de 2013, le secteur vitivinicole a bénéficié d’un règlement européen OCM particulier qui était donc distinct du règlement agricole, le dernier ayant été le règlement n° 479/2008 du 29 avril 2008

Les droits nationaux sont réduits à la portion congrue et, généralement, n’interviennent que comme texte d’application des textes européens (par exemple, le décret étiquetage du 4 mai 2012), ou pour réglementer des aspects non régis par le droit européen comme la loi Evin (10 janvier 1991) sur la publicité des boissons alcooliques.
Il faut néanmoins réserver la situation des usages qui conservent un domaine non négligeable en matière vitivinicole y compris en matière contractuelle (voir usage des bordereaux de vente de vins signés par le seul courtier sur la place de Bordeaux).

A cette origine européenne, s’ajoute le caractère très complexe et souvent d’ordre public du droit vitivinicole. La liberté est rarement le principe. Ainsi, la plantation même de vignes n’est pas libre et, au contraire, soumise à autorisation dont le régime a été réformé par l’OCM de 2013.

La deuxième spécificité résulte du lien entre la qualité du vin et son origine.
Depuis l’Antiquité, une classification qualitative des vins existe. En effet, depuis cette époque, il a été remarqué que la qualité d’un vin est liée à son origine, cad au terroir dont il émane. Vers 70 après JC, Pline l’Ancien dresse déjà une liste de vins d’appellation en dénombrant 44 vins d’Italie et de Gaule ainsi que 21 vins de méditerranée orientale.
Aujourd’hui, ce lien entre qualité du vin et identification de son terroir constitue la Summa divisio du droit vitivinicole qui établit une distinction entre les vins avec IG (indication géographique) et les vins sans IG considérés comme de moindre qualité et donc de moindre valeur (autrefois appelés vins de table).

Au sein des vins avec IG, une sous-distinction existe entre les vins d’AOP (Appellation d’origine protégée), dénommée AOC en France au titre d’une mention traditionnelle, et vins d’IGP (Indication géographique protégée), désignés par la mention traditionnelle « vins de pays » en France.

Les vins d’AOP sont évidemment les plus valorisés car c’est à leur égard que le lieu avec le terroir est le plus étroit.

Le principe est que le vin d’AOP doit être issu exclusivement de raisins récoltés dans l’aire d’appellation, les raisins étant venus à maturation et vendangés conformément aux pratiques viticoles précisément déterminées dans le cahier des charges propre à l’appellation en cause et homologué par les services de l’Etat et aussi, depuis l’OCM de 2013, par la Commission européenne.
Les conventions internationales, le droit de l’Union européenne et le droit français aussi protègent les indications géographiques en tant que droit de la propriété intellectuelle (à l’instar des marques) contre les atteintes qui leur sont portées (on parle alors de contrefaçon).
Il existe donc un enjeu très fort à défendre les appellations d’origines protégées à l’encontre soit d’une utilisation par des vins qui n’y ont pas droit, soit d’un usage par d’autres produits qui détournerait ou affaiblirait leur notoriété (fameuse affaire du parfum « Champagne » d’Yves Saint Laurent ou plus récemment « Champ’halal »).
Le CIVC, notamment, s’y emploie activement et généralement avec succès.
La troisième spécificité tient à la valorisation du nom du vin issu d’une propriété.
Sous réserve des vins de champagne qui sont le plus souvent vendus sous une marque commerciale (Henriot, Roderer, Moët… ), pour les autres vins, leur valeur vient généralement de leur rattachement à un terroir déterminé, c’est-à-dire à une exploitation viticole précisément localisée.
C’est ainsi que les vins d’AOP qui ont été récoltés sur les parcelles d’une exploitation et vinifiés dans cette exploitation viticole sont les seuls à pouvoir mentionner sur leur étiquette les termes de « château », « clos » « cru » et « hospice ».

A cela s’ajoute le fait que ces vins sont les seuls à pouvoir porter le nom de l’exploitation dont ils sont issus (ex : château Haut-Brion, Château Lafitte-Rothschild…), ce nom faisant référence à une localisation géographique précise.
En matière viticole, il faut donc distinguer la marque qui correspond au nom d’une exploitation viticole que l’on appelle, en doctrine, marque domaniale, des autres marques de vins qualifiées pour les distinguer de marque de négoce (Bourgognes Joseph Drouhin par exemple).
La distinction entre marque commerciale (ou marque de négoce) et marque domaniale résulte donc de l’indication de provenance que comporte cette dernière qui la différencie de la première. Ainsi, les marques commerciales de droit commun identifient seulement un distributeur tandis que les marques domaniales faisant référence à une provenance garantissent une production précisément localisée ce qui emporte certaines dérogations au droit commun des marques en ce qui concerne son enregistrement à titre de marque.

Les marques domaniales comportent aussi la particularité, depuis un arrêt Cassevert de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 janvier 1955, d’être indissociables de l’exploitation, la conséquence étant qu’il est impossible de céder séparément l’exploitation et la marque domaniale qui s’y rapporte, la clause par laquelle le cédant de l’exploitation se réserverait l’usage de la marque domaniale ayant été considérée comme nulle de nullité absolue car contraire à l’ordre public par la Cour de cassation dans l’arrêt précité selon lequel « une telle dénomination ne pouvait servir à désigner des vins autres que ceux en provenance de ce lieu ».
Ces spécificités soulèvent la question de l’arbitrabilité des litiges dans le domaine vitivinicole

D’emblée, il est possible d’affirmer qu’une partie des litiges pouvant surgir dans le domaine vitivinicole paraissent hors du champ de l’arbitrage. Non pas en raison de leur caractère d’ordre public qui, on le sait, n’est pas un obstacle à l’arbitrage mais parce que le contentieux intéresse directement le fonctionnement de services ministériels et/ou européens.

Tel est notamment le cas du contentieux relevant de la reconnaissance ou de l’extension d’une AOP ou d’une IG. Il en est exactement de même pour la contestation d’un cahier de charge d’une AOP ou d’un IGP.
En effet, la reconnaissance ou l’extension d’une AOP ou d’une IGP, de même que l’homologation d’un cahier des charges interviennent d’abord sur décision du ministère de l’agriculture après avis de l’INAO et, subséquemment, doivent faire l’objet d’une homologation par la Commission européenne qui tient les registres européens.
Il en ressort que tout litige visant à contester la reconnaissance ou l’extension d’une AOP ou d’une IG ainsi que l’homologation d’un cahier des charges revient à demander l’abrogation de la décision ministérielle en cause ainsi que de l’enregistrement par la Commission européenne.
Bien évidemment, à tout le moins en France, il n’est pas possible de demander l’annulation d’une décision réglementaire à un tribunal arbitral, serait-il international, seul le Conseil d’Etat étant habilité à statuer sur une telle demande d’abrogation.

De plus, dans les litiges concernant le respect des AOP par une marque commerciale n’y ayant pas droit ou concernant un produit autre que du vin (de champagne singulièrement), outre le fait qu’il ne s’agit pas d’un contentieux contractuel, le comité interprofessionnel concerné, généralement à l’origine des poursuites, recherche le plus souvent la publicité maximale et préfère donc, en toute hypothèse, porter l’affaire devant une juridiction étatique et ne pas conclure un compromis.

Enfin, une autre source importante de contentieux résulte du contentieux à l’égard d’une marque (domaniale particulièrement) ou d’un conflit entre marques. Or, ce contentieux intéresse étroitement le fonctionnement d’un service public tenant un registre de marques (INPI, OHMI devenu EUIPO…). De plus, pour des motifs de cohérence, la décision sur la licéité de la marque doit avoir une portée erga omnes, difficilement compatible avec l’arbitrage même si, la porte n’est pas totalement fermée depuis l’arrêt Liv Hidravlika de la CA de Paris du 28 février 2008 qui a accepté « que la question de la validité d’un brevet soit débattue de manière incidente à l’occasion d’un litige de nature contractuelle ».

En revanche, sont bien évidemment arbitrables les litiges trouvant leur fait générateur dans un contrat tel un contrat international de vente de vin, associé ou non à une question de transport de cette même marchandise ou encore dans un contrat de distribution.
Il en est de même des litiges résultant d’une cession de propriété viticole sous la forme, soit d’une cession d’actif, soit, si la propriété a été apportée à une société, d’une cession de parts sociales ou d’actions.
Le champ de l’arbitrage reste donc très largement ouvert en matière vitivinicole et ce d’autant plus que la complexité de la règlementation viticole est un motif qui milite en faveur de l’arbitrage.
Du fait de ses particularités, le droit vitivinicole déroge sur de nombreux points au droit commun, de sorte qu’il peut être pertinent pour des parties de confier leur litige à des arbitres ayant une connaissance précise du droit vitivinicole et des pratiques de ce secteur plutôt qu’à des magistrats peu au fait des spécificités de cette matière.