Le registre d’insolvabilité français : du vin nouveau dans de vieilles outres ?

Passé quelque peu inaperçu, notamment en raison de sa proximité chronologique avec la présentation au conseil des ministres le 18 juin 2018 du projet de loi PACTE, le décret n° 2018-452 du 5 juin 2018 pris pour l’application du règlement (UE) n° 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité et de l’ordonnance n° 2017-1519 portant adaptation du droit français à ce règlement est, cependant, digne d’intérêt. Ainsi, institue-t-il en droit français, notamment, le registre d’insolvabilité requis par l’article 24 du règlement (UE) n° 2015/848 pour qu’y soient publiées, à compter du 26 juin 2018, les informations sur les procédures d’insolvabilité ouvertes dans chaque Etat membre. On sait, par ailleurs, que l’article 25 du même règlement sur les procédures d’insolvabilité prévoit que la Commission européenne doit, au plus tard le 26 juin 2019, mettre en place, par voie d’actes d’exécution, un système d’interconnexion de ces différents registres nationaux d’insolvabilité. En droit français, l’instauration d’un tel registre d’insolvabilité pouvait emprunter deux voies possibles : celle du registre spécial, dédié aux procédures d’insolvabilité principales et secondaires, ou celle de l’intégration dans le registre du commerce et des sociétés. Le décret du 5 juin 2018 manifeste le choix du gouvernement en faveur de la deuxième voie. Ainsi, l’article 3 dudit décret modifie l’article R. 123-122 du Code de commerce pour ajouter un « II » disposant : « S’agissant des décisions d’ouverture de procédures de sauvegarde ou de redressement ou liquidation judiciaires ouvertes à compter du 26 juin 2018, sans préjudice du 1° du I, sont également mentionnés d’office au registre :
« 1° La nature principale, secondaire ou territoriale de la procédure d’insolvabilité au sens des paragraphes 1, 2 ou 4 de l’article 3 du règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité ; (…) . »
Le choix de couler le nouveau registre d’insolvabilité dans le traditionnel moule du registre du commerce et des sociétés a beaucoup d’arguments en sa faveur. Au premier rang desquels, la simplicité de regrouper dans le même registre les informations relatives à toutes les procédures collectives qu’elles soient purement nationales ou européennes puisque, après tout, il s’agit dans tous les cas de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Un autre argument est celui de la sécurité juridique, la tenue du registre du commerce et des sociétés par les greffiers des tribunaux de commerce étant d’une rare efficacité. Enfin, ce choix s’inscrit dans la sens du projet de loi PACTE qui prévoit d’instituer un registre général des entreprises avec la plus grande partie des données en open data. L’objectif est qu’à terme, le K bis contienne le plus d’informations essentielles avec, notamment, les mentions des bénéficiaires effectifs, des succursales européennes, des procédures d’insolvabilité… Militaient, au contraire, en faveur d’un registre d’insolvabilité spécial et autonome, tout autant, tenu par les greffiers des tribunaux de commerce, une identification plus facile des procédures d’insolvabilité, particulièrement pour des créanciers étrangers, ainsi que, peut-être, une simplification de l’interconnexion des registres que doit réaliser la Commission européenne en 2019. Mais la multiplicité des registres n’a jamais été un gage d’efficacité et, en France, on n’en connait déjà que trop. Aussi, ne peut-on qu’approuver le choix du registre du commerce et des sociétés comme véhicule du registre d’insolvabilité. Ce choix ferait-il mentir la parabole de Matthieu (9,17) selon laquelle « On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement, les outres se rompent, le vin se répand, et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et le vin et les outres se conservent » ? Non, car, compte tenu de son renouvellement technologique et juridique permanent, le registre français du commerce et des sociétés est en perpétuel renouvellement, de sorte qu’il n’a rien d’une « vieille outre » !