En arbitrage interne, l’arbitrabilité des cessions de droits sociaux est allée dans le sens d’un élargissement permanent pour concerner aujourd’hui toutes les cessions de droits sociaux quelle que soit la nature de la société dont les titres sont cédés.
En somme, on est passé en moins de 20 ans de l’arbitrabilité des seules cessions de contrôle des sociétés commerciales à l’arbitrabilité de toutes les cessions y compris celles des droits sociaux des sociétés civiles.
Une telle affirmation mérite des précisions.
Cette évolution est le résultat, évidemment, des réformes ayant affecté l’arbitrage mais aussi de la jurisprudence.
Ainsi, en raison du principe d’interdiction sauf textes contraires qui était posé par l’ancien article 2061 du Code civil, s’est pendant longtemps confondue avec le périmètre de la compétence des tribunaux de commerce qui était mentionnée alors à l’article 631, 2° de l’ancien Code de commerce visant « les contestations entre associés pour raison d’une société de commerce ».
La difficulté consistait alors à déterminer qu’elles étaient les cessions qui relevaient de ces contestations pour raison de société de commerce.
La jurisprudence avait trouvé une réponse en distinguant entre les cessions emportant le contrôle de la société auxquelles était attribuée la qualification d’acte de commerce les rendant arbitrables et celles qui ne modifiaient pas le contrôle et n’étaient donc pas arbitrables en raison de leur nature civile sauf à ce qu’elles soient intervenues entre parties ayant la qualité de commerçant au titre de l’ancien article 632, 3° du Code de commerce.
La première phase de l’évolution est intervenue avec l’adoption de la fameuse loi NRE du 15 mai 2001 qui a modifié l’article 2061 du Code civil pour inverser la règle de principe en remplaçant le principe de prohibition de la clause compromissoire sauf texte spécial contraire par le principe de sa validité « dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle », sous réserve de dispositions légales particulières.
En parallèle, les dispositions l’ancien article 631, 2° du Code de commerce ont été reformulées dans le cadre de l’article L. 721-3, 2° du Code de commerce qui vise désormais de manière générale « les contestations relatives aux sociétés commerciales ».
Il résultait de cette double évolution législative qu’il n’était plus nécessaire de distinguer selon que la cession de droits sociaux revêtait ou non un caractère commercial.
La clause compromissoire était dorénavant valable dans toutes les cessions de droit sociaux de sociétés commerciales comme le confirmait la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juillet 2007 ( n° 06-16.548) et ce même si l’une des parties n’agissait pas dans le cadre de son activité professionnelle, dans la mesure où l’acte est de ceux visés par les dispositions de l’article L. 721-3, 2° du Code de commerce, comme l’a admis la première Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 octobre 2014 (n° 13-11.568) à propos de cédants qui avaient cessé leur activité professionnelle au moment de la conclusion de la promesse de cessions de droits sociaux comportant une clause compromissoire.
Par ailleurs, la modification de l’article 2061 par la loi NRE permettait fonder la validité de la clause compromissoire dans les cessions de droits sociaux de sociétés civiles mais imposait la condition de rattachement à une activité professionnelle.
Dans le cadre de cessions de droits sociaux de sociétés civiles, la question était donc de savoir comment s’appréciait la condition d’activité professionnelle.
Pour certains auteurs, c’était toujours le cas dès lors que les sociétés civiles « constituent une technique d’organisation d’une entreprise, de partenariat professionnel ou de gestion d’un patrimoine », ce dont il résulterait que les contrats qui s’y rapportent « relèvent par hypothèse de l’activité professionnelle » des cocontractants (cf. Ph. Fouchard, La laborieuse réforme de la clause compromissoire par la loi du 15 mai 2001 : Rev. arb. 2001, p. 410).
Pour d’autres auteurs (M. Bandrac, J.-Ph. Dom et B. Le Bars, Juris-cl. Traité sociétés, fasc. 29, Vbis Arbitrage et sociétés, n° 11), en revanche, tout dépendait de l’utilisation et de la finalité de la société civile : était-elle constituée pour procurer des ressources ou était-elle un simple moyen de gestion d’un patrimoine ? Le premier cas caractérisait la condition d’activité professionnelle contrairement au second. La frontière paraissait néanmoins très fragile et même fort discutable.
Quoiqu’il en soit, la dernière étape de cette évolution déplace ce débat du terrain de la validité sur celui exclusivement de l’opposabilité.
En effet, depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 dite « Justice du XXIème siècle » qui a modifié l’article 2061 du Code civil, les clauses d’arbitrage sont valables même dans les contrats conclus en-dehors du cadre de l’activité professionnelle, la nouvelle rédaction de l’article 2061 accordant seulement la possibilité à la partie qui n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, de ne pas se soumettre à l’arbitrage puisque, alors, « la clause ne peut lui être opposée » (Y. Strickler, Juris-cl. Synthèse, V° Arbitrage, n° 5).
En définitive, les cessions de droits sociaux dans les sociétés de toute nature sont donc aujourd’hui arbitrables sans restriction relative à la nature de l’activité exercée.
On pourrait se demander néanmoins si cette affirmation vaut aussi pour les cessions de titres cotés et quelles que soient les modalités de cession, notamment, celles réalisées au moyen d’une offre publique (OPA ou OPV) pour lesquelles l’ordre public est éminemment présent.
Pour autant, la présence renforcée de l’ordre public ne modifie pas la nature juridique de la cession de droits sociaux.
Observons ainsi que l’ordre public n’est pas absent, de beaucoup s’en faut, des cessions de titres non cotés qui peuvent être soumises, selon la forme de la société dont les titres sont cédés, à des règles d’ordre public relatives aux formalités, ou restreignant la négociabilité des droits sociaux sans que ces règles n’aient jamais soulevé la moindre difficulté au regard de l’arbitrabilité des cessions en cause.
S’agissant des cessions de titres cotés, hors application des mécanismes d’offre publique, ce sont fondamentalement des opérations de gré à gré, dont les parties ont la libre disposition (en ce sens aussi, Ph. Marini, Arbitrage, médiation et marchés financiers, RJ com. mai 2000, n° 5, p. 155 et s.), de sorte que rien ne devrait les exclure a priori du champ de l’arbitrage, sous réserve, bien évidemment, qu’en raison de leur dématérialisation, ces opérations ne se prêtent guère à l’arbitrage.
Evidemment, échapperait à l’appréciation du tribunal arbitral tout ce qui relèverait de la compétence exclusive de l’AMF.
Il en est de même à notre avis à l’égard d’une cession dans le cadre d’une offre publique d’achat ou de vente. Le recours à cette modalité spécifique de cessions n’exclut pas, par principe, l’arbitrage. Certes, l’ordre public « boursier » est très présent dans ce cas. Mais cette présence massive n’interdit pas toute convention d’arbitrage.
Simplement, les arbitres devraient tenir compte de ces règles d’ordre public et leur mission ne pourrait pas empiéter sur les questions pour lesquelles l’AMF dispose d’une compétence exclusive, par exemple pour apprécier la recevabilité de l’offre publique ou le respect des règles relatives au déroulement de l’offre (en ce sens, A. Couret, Les cessions de droits sociaux, Revue de l’arbitrage 2013, n° 3, p. 651 et s., spéc. n° 13 et s).