La négligence ne peut plus fonder l’action en « comblement de passif »

L’article 146 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, a voulu faire preuve de mansuétude à l’égard du dirigeant dont la société est en liquidation judiciaire en apportant une modification à l’article L. 651-2 du Code de commerce qui détermine les conditions de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Est ainsi ajoutée la phrase suivante : « Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. »

La faute de gestion par négligence ne peut donc plus fonder la responsabilité pour insuffisance d’actif. L’intention est incontestablement bienvenue tant cette solution avait pu paraître « inadaptée dans un droit qui prétend inciter à entreprendre et doit de ce fait accepter une certaine prise de risque » (F. Pérochon, Droit des entreprises en difficulté : LGDJ, 10e éd. 2016, n° 1701). En ce sens, il avait pu être regretté que la réforme du 12 mars 2014 n’ait pas été l’occasion d’apporter une telle modification au régime de la responsabilité pour insuffisance d’actif. C’est chose faite aujourd’hui grâce la loi Sapin 2.

Certes, on a pu souligner que la portée de cette modification n’était pas si évidente (F.-X. Lucas, Réforme de l’action en « comblement de passif » : BJS janv. 2017, p. 1). D’une part, en effet, ce modification pourrait « se révéler décevante » si les juridictions interprétaient strictement la notion de négligence. D’autre part, en raison de la règle de non-cumul, l’exonération du dirigeant sur le terrain de la responsabilité spéciale pour insuffisance d’actif dégage un espace pour l’action en responsabilité de droit commun en cas de simple négligence. Or, l’action de droit commun n’étant pas attitrée contrairement à l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, le dirigeant risque finalement d’être davantage exposé en cas de faute de gestion par négligence. Cette critique pourrait néanmoins se révéler moins efficiente en pratique car un créancier, qui voudrait rechercher la responsabilité personnelle de droit commun d’un dirigeant d’une société en liquidation judiciaire, devrait prouver que sa faute est séparable de ses fonctions. Or, concrètement, il n’est pas certain qu’une telle faute séparable de ses fonctions soit aisée à caractériser en cas de simple négligence même si toute hypothèse n’est pas à exclure (F.-X. Lucas cite, en ce sens, Cass. 3e civ., 10 mars 2016, n° 14-15.326 : JurisData n° 2016-004256, mais cet arrêt concerne une espèce dans laquelle le dirigeant d’une société de construction n’avait pas souscrit d’assurance décennale, ce qui paraît dépasser la simple négligence, la Cour de cassation approuvant la cour d’appel d’avoir considéré que cette faute intentionnelle constitutive d’une infraction pénale constituait une faute séparable des fonctions). On pourrait enfin reprocher au législateur d’avoir fait l’économie d’une réforme globale et plus profonde de la responsabilité des dirigeants de sociétés en liquidation judiciaire préconisée par certains (notamment, F.-X Lucas, Manuel de droit de la faillite : PUF, 2016, n° 305). Là encore, la critique est pertinente, mais, après autant de réformes qui ont affecté les procédures collectives depuis une dizaine d’années, une réformette bien précise peut avoir ses partisans. A condition, toutefois qu’elle soit suffisamment précise. Et c’est là que le bât blesse pour cette modification législative. La faute de gestion par négligence se distingue-t-elle de la faute par imprudence, voire de l’erreur d’appréciation dans la gestion ? Le terrain n’est pas balisé et cette distinction risque fort d’être source d’insécurité juridique et de contentieux comme l’avait relevé Philippe Roussel Galle avant l’examen du texte au Sénat qui l’avait d’ailleurs supprimé. En définitive, si l’intention est bonne, la réalisation risque de manquer sa cible et de ne pas être un cadeau pour les dirigeants (en ce sens, F. Pérochon, Sous la loi Sapin un cadeau de Noël pour le dirigeant d’entreprise, BJED, p. 1). Malheureusement, on le sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions !