C’est sur le terrain des effets de la reconnaissance de plein droit de l’ouverture des procédures d’insolvabilité que cet important arrêt de principe de la Chambre commercial de la Cour de cassation en date du 7 février 2018, n° 17-10056 développe ses principaux enseignements. Dans cette affaire, un créancier avait assigné en liquidation judiciaire devant le tribunal de commerce de Créteil une société dont le siège statutaire était en Roumanie. Dans l’ignorance, maintenue par le débiteur lui-même, de l’ouverture antérieure d’une procédure principale en Roumanie en juin 2012, le tribunal de commerce considéra que le centre des intérêts principaux du débiteur se situait en France et ouvrit en septembre 2012 une procédure principale de liquidation judiciaire en faisant remonter la cessation des paiements dix-huit mois avant le prononcé de l’ouverture. En l’absence de recours, y compris de la part du dirigeant du débiteur, la décision devint irrévocable. Ultérieurement, le ministère public requis l’application d’une mesure d’interdiction de gérer qui fut prononcée contre le dirigeant de la société de droit roumain. La cour d’appel saisie par le dirigeant de la société qui, désormais, se prévalait de l’ouverture antérieure de la procédure principale par une juridiction roumaine, confirma d’une part, la compétence des juridictions françaises en raison de l’autorité de la chose jugée attaché au jugement français devenu irrévocable et d’autre part, le prononcé de la sanction estimant que « les juridictions françaises en charge de la procédure principale sont compétentes pour décider des sanctions, lesquelles dérivent de cette procédure » en raison du passif que ce dirigeant avait laissé s’accumuler.
En réalité, le principal problème dans cette affaire était de savoir si l’autorité de la chose jugée attachée, en vertu des règles françaises de procédure civile, à la décision française d’ouverture de la procédure d’insolvabilité permettait de s’opposer au principe de la reconnaissance de plein droit de la décision roumaine antérieure, ce principe étant énoncé par le règlement européen n° 1346/2000 du 29 mai 2000 (et à sa suite par le règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015). Bien évidemment, une réponse négative ne faisait aucun doute, les dispositions du droit français relatives à l’autorité de la chose juge ne pouvant entraver l’application des règles européennes relatives à la reconnaissance immédiate de la procédure principale. C’est très exactement la solution énoncée par la Cour de cassation au visa des articles 3 et 16 du règlement (CE) n° 1346/2000 applicables à la cause. Elle censure ainsi l’arrêt d’appel en précisant, dans un attendu de principe, qu’une procédure d’insolvabilité ouverte dans l’Etat membre du siège statutaire d’une société doit être reconnue immédiatement dans tous les autres Etats membres et que, si une procédure d’insolvabilité est ouverte ultérieurement dans un autre Etat membre, il ne peut s’agir que d’une procédure secondaire. Elle ajoute que dans une telle procédure secondaire, l’insolvabilité du débiteur ne peut pas être réexaminée dès lors que cet examen a déjà eu lieu dans l’Etat membre de la procédure principale, « de sorte que son dirigeant n’a pas à déclarer la cessation de ses paiements dans le pays d’ouverture de la procédure secondaire ». Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour de cassation en déduit logiquement que la procédure d’insolvabilité ouverte en France ne pouvait être qu’une procédure secondaire. Dès lors, même si la décision française qui avait qualifié la procédure ainsi ouverte de procédure principale après avoir localisé sur le territoire français, le centre des intérêts principaux de la société débitrice, était devenue irrévocable et avait l’autorité de la chose jugée en application des règles françaises de procédure civile, elle ne pouvait écarter les règles de droit européen issues du règlement (CE) n° 1346/2000 fondant le caractère nécessairement secondaire de la procédure ouverte ultérieurement en France. Il en résulte que cette dernière procédure d’insolvabilité devait être requalifiée de procédure secondaire indépendamment de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement français d’ouverture. C’est là, l’apport essentiel de l’arrêt de la Cour de cassation. Avec la création, à compter du 26 juin 2018, des registres nationaux d’insolvabilité répertoriant les procédures d’insolvabilité principales et secondaires ouvertes dans tous les Etats membres (article 24 du règlement (UE) n° 2015/848) qui seront interconnectés à partir du 26 juin 2019 (article 25 du règlement (UE) n° 2015/848) l’ignorance d’une procédure d’insolvabilité deviendra difficile. Quant à la sanction prononcée contre le dirigeant de la société débitrice par la cour d’appel, la Cour de cassation procède par voie de déduction. En effet, dès lors qu’elle a requalifié la procédure ouverte en France de procédure secondaire, il n’y avait plus lieu pour le débiteur de déclarer sa cessation des paiements dans la mesure où cette cessation des paiements avait été déjà reconnue dans la procédure principale ouverture antérieurement en Roumanie. L’article 27 du règlement (CE) n° 1346/2000 énonce effectivement que, conformément à l’article 3, § 2 du règlement précité, dans un autre Etat membre que celui où a été ouverte la procédure principale peut être ouverte une « procédure secondaire d’insolvabilité sans que l’insolvabilité du débiteur soit examinée dans cet autre Etat » (l’article 34 du règlement (UE) 2015/848 énonce similairement : « Lorsque la procédure d’insolvabilité principale exigeait que le débiteur soit insolvable, l’insolvabilité de ce dernier n’est pas réexaminée dans l’État membre dans lequel la procédure d’insolvabilité secondaire peut être ouverte. »). Le dirigeant du débiteur n’avait donc aucune obligation de faire une telle déclaration de cessation des paiements à la procédure ouverte en France et, par voie de conséquence, il ne pouvait être en aucun cas sanctionné pour ne pas l’avoir fait. L’arrêt de la cour d’appel ayant prononcé une telle sanction encourrait donc nécessairement la cassation. Il ne faut pas aller chercher plus loin et il ne faut surtout pas faire dire à cet arrêt de cassation ce qu’il ne dit pas. La Cour de cassation ne vient certainement pas confirmer ici le très critiquable arrêt Nob du 22 janvier 2013 (Cass. com. 22 janvier 2013, n° 17968, D. 2013, p. 755, note R. Dammann et A. Rapp ; JCP E 2013, 1563, n° 10, obs. M. Menjucq ; Bull. Joly Sociétés 2013, p. 263, note J.-L. VALLENS ; voir aussi L. D’AVOUT, « Règlement insolvabilité, procédure territoriale et sanctions personnelles du dirigeant (À propos de l’arrêt NOB) », Rev. proc. coll. 2013, étude 19) dans lequel elle avait affirmé que les sanctions personnelles à l’encontre des dirigeants du débiteur ne pouvaient pas être prononcées dans le cadre d’une procédure secondaire ouverte en France. Cette jurisprudence a été définitivement brisée par le considérant 47 du règlement (UE) n° 2015/848 selon lequel « le présent règlement ne devrait pas empêcher les juridictions de l’État membre dans lequel une procédure d’insolvabilité secondaire a été ouverte de sanctionner les dirigeants du débiteur pour violation de leurs obligations, pour autant que lesdites juridictions soient compétentes pour connaître de ces litiges en vertu de leur droit national ». Ainsi, l’arrêt du 7 février 2018 fait simplement le constat qu’il ressortait des dispositions européennes précitées, particulièrement de l’article 27 du règlement (CE) n° 1346/2000, que le dirigeant du débiteur n’avait aucune obligation de déclaration de cessation de paiement dans la procédure secondaire et qu’en conséquence, il ne pouvait pas être sanctionné pour ne pas avoir exécuté une obligation inexistante. Ni plus, ni moins.