La Cour de justice a rendu dans une affaire Polbud (CJUE, 25 oct. 2017, aff. C-106/16 : JurisData n° 2017-021933 ; Bull. Joly 2018, p. 19, note Th. Mastrullo ; D. 2017, p. 2512, note L. Davout ; JCP E 2018, 1014, note M. Menjucq ; JCP G 2017, 1352, note M. Combet) un arrêt qui marque une étape importante dans la libéralisation du transfert de siège social d’un État membre à un autre. En l’espèce, les associés d’une société de droit polonais, (ci-après dénommée « Polbud ») avait décidé, en assemblée, de transférer le siège social au Luxembourg aux fins de transformation en une société de droit luxembourgeois procédant ainsi, dans la terminologie de la Cour de justice, à une transformation transfrontalière. À l’issue du transfert de siège social, la société demande sa radiation du registre du commerce polonais. Il lui est opposé que, selon le droit polonais, même si la société conserve sa personnalité morale lors de l’opération, elle doit néanmoins fournir les documents exigés pour une dissolution suivie d’une liquidation. La société en cause n’ayant pas obtempéré, estimant ne pas avoir fait l’objet d’une dissolution, sa demande de radiation est rejetée. Saisie par la Cour suprême polonaise de plusieurs questions préjudicielles, la Cour de justice eut à se prononcer notamment sur l’applicabilité des articles 49 et 54 TFUE au transfert de siège statutaire sans déplacement du siège réel. Réalisant une percée juridique libérale, la Cour de justice admet qu’une société peut transférer son siège statutaire sans déplacer son siège réel, afin de se transformer en une société soumise au droit d’un autre État membre, à la condition de respecter les critères de rattachement de cet État membre d’accueil, « quand bien même », l’ensemble des activités économiques serait exercé dans l’État membre d’origine (CJUE, 25 oct. 2017, pt. 38). La Cour ajoute surtout, dans le prolongement de l’arrêt Centros (CJCE, 9 mars 1999, aff. C-212/97 : JurisData n° 1999-100250), auquel elle fait référence à plusieurs reprises que « n’est pas constitutif en soi d’abus le fait d’établir le siège statutaire ou réel d’une société en conformité avec la législation d’un État membre dans le but de bénéficier d’une législation plus avantageuse » (pt 40). Le corollaire est que toute gêne entravant ce transfert du siège social, comme l’obligation de procéder à la liquidation de la société comme l’exigeait le droit polonais en dehors de tout « risque réel d’atteinte portée aux intérêts » des créanciers, des associés minoritaires et des salariés, constitue une restriction à la liberté d’établissement, non proportionnée à l’objectif poursuivi de protection desdits intérêts en ce qu’elle édicte une présomption générale d’abus. En définitive, l’arrêt Polbud fait sauter les limitations qui avaient progressivement été posées par la Cour de justice pour réduire la portée de l’arrêt Centros, notamment par l’exigence d’une activité économique réelle dans l’État d’accueil. Cet arrêt marque donc un retour à la philosophie libérale de l’arrêt Centros prônant une jouissance de la liberté d’établissement des sociétés sans entraves ni limites.