La notion de principal établissement est au cœur de cette décision de la Cour de cassation du 22 février 2017 (Cass. civ. 1ère, 22 février 2017, n° 16-12408) qui démontre que cette notion peut être source de confusion. Il est vrai que tout dépend « d’où l’on parle » pour reprendre un truisme cher à certains sociologues. Le Code de commerce précise ainsi, à l’article R. 123-35, que l’immatriculation de la société au RCS doit être effectué auprès du greffe du tribunal dans le ressort duquel se situe le « premier établissement » d’une société ayant son siège à l’étranger (ou hors du département). Le même code distingue encore, à l’article R. 123-40, l’établissement principal, assimilé au siège social, et l’établissement secondaire. Le droit européen connait, quant à lui, la notion de principal établissement qu’il emploie dès 1957 dans l’article 58 du Traité de Rome (CEE), devenu l’article 54 TFUE, qui est reprise par le règlement Bruxelles I n° 44/2001 du 22 décembre 2000 sur lequel se fonde l’arrêt sous commentaire. En l’occurrence, des conjoints avaient acheté des billets d’avion pour le Canada auprès de la Compagnie Air Canada et avaient saisi de leur demande d’indemnisation fondée sur le règlement (CE) n° 261/2004 le tribunal d’Annecy, lieu de leur domicile au moment de l’achat du billet. La compagnie canadienne avait soulevé l’incompétence de la juridiction au profit des tribunaux de Montréal, lieu de son siège social. Pour rejeter l’exception d’incompétence, la cour d’appel avait retenu, sur le fondement du règlement Bruxelles I n° 44/2001, que la société était immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris au titre d’un « établissement principal » situé dans cette ville. La Cour de cassation exerce à juste titre sa censure au visa des articles 2 et 60 du règlement n° 44/2001, en remettant les mots dans le bon ordre et en utilisant l’expression de « principal établissement » et non celle « d’établissement principal », pour affirmer que la cour d’appel avait privé sa décision de base légale, ses motifs étant impropres à établir que le principal établissement de la société canadienne était en France. En effet, au sens de l’article 60 du règlement Bruxelles I, les personnes morales sont domiciliées au lieu « où est situé, leur siège statutaire, de leur administration centrale ou de leur principal établissement ». Au sens de cet article, la notion de principal établissement renvoie donc à la notion de siège social non sous son aspect statutaire mais plutôt sous son aspect matériel comme étant le lieu de la directive effective de la société. Or la cour d’appel ne démontrait nullement que l’établissement parisien de la société Air Canada correspondait au lieu de la direction effective de ladite société, ce qui explique sa censure par la Cour de cassation pour défaut de base légale. En fait, l’établissement parisien n’était que le « premier établissement » en France de cette société, caractérisant un « établissement permanent, distinct du siège social ou de l’établissement principal » selon l’article R. 123-40, ce qui justifiait son immatriculation au RCS parisien en vertu de l’article R. 123-35 du Code de commerce . Mais cet établissement ne caractérisait pas le domicile de la société, au sens du règlement Bruxelles I, celui-ci correspondant au siège social localisé au Canada. Il n’y avait, à cet égard, aucun doute sur le sens de la notion de principal établissement, d’où le refus par la Cour de cassation de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Enfin, le visa de l’article 2 du règlement n° 44/2001 de l’arrêt commenté impliquait qu’à défaut de caractérisation de son domicile en France, la société Air Canada ne pouvait être attraite devant les juridictions françaises sur le fondement du règlement précité et qu’en conséquence l’exception d’incompétence qu’elle avait soulevée aurait donc dû être accueillie.
(Article publié au Bulletin Joly des sociétés, septembre 2017, p. 561)