La Cour de cassation a rendu le 15 décembre 2015 (n° 14-11500), un arrêt remarqué par lequel elle a fait prévaloir la confidentialité du mandat ad hoc et de conciliation sur la liberté d’expression de la presse. Sans faire un nouveau commentaire de cet arrêt qui a déjà été très commenté (on lira par exemple, M.-H. Monsérié-Bon, La confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation vers liberté d’expression, Revue Lamy droit des affaire, avril 2016, p. 39 et s.), quelques réflexions sur la méthode utilisée par la Cour de cassation méritent d’être avancées. En effet, pour la première fois, à notre connaissance, en droit des entreprises en difficulté, la Chambre commerciale de la Cour de cassation emprunte la méthode de la « balance des intérêts » aux juridictions européennes, notamment à la Cour européenne des droits de l’Homme, cette méthode consistant, en présence de droits ayant « la même valeur normative » à « privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime » (voir P.- Y. Gautier, Contre la « balance des intérêts » : hiérarchie des droits fondamentaux, D. 2015, p. 2189). Faut-il se réjouir de l’introduction de cette nouvelle méthode raisonnement en droit des entreprises en difficulté?
Au regard du résultat obtenu consistant dans l’extension de l’obligation de confidentialité aux médias écrits, une réponse positive paraît s’imposer. Il est ainsi inutile de rappeler le caractère déterminant de la confidentialité pour le mandat ad hoc et la conciliation. Elle est le gage même de la réussite de la prévention. Il aurait donc été fort préjudiciable pour les entreprises en difficulté que cette confidentialité ne puisse être opposée aux journalistes en raison du principe fondamental de la liberté d’expression. Or l’article L. 611-15 du Code de commerce était à cet égard insuffisant car en obligeant à la confidentialité seulement « toute personne appelée à la procédure de conciliation et à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance », il paraissait difficile de l’appliquer à des journalistes de la presse, fût-elle spécialisée. D’où l’avantage de la méthode de la Cour de cassation qui a, sur le fondement de l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, élargi le cercle des personnes tenues à la confidentialité en affirmant de manière péremptoire que « le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises imposé par (l’article L. 611-15 du Code de commerce) pour protéger les droits et libertés des entreprises recourant à ces procédures, fait obstacle à leur diffusion par voie de presse, … ». L’article 10 § 2 de la Convention permet donc d’astreindre à la confidentialité des personnes hors de la portée immédiate de l’article L. 611-15, ce qui est incontestablement une solution opportune pour la prévention des difficultés des entreprises.
Pour autant, à la réflexion, il n’est pas si évident que l’emploi par la Chambre commerciale d’une telle méthode de raisonnement constitue une bonne nouvelle. En effet, le recours à cette méthode de la « balance des intérêts » s’accompagne de la transposition en droit des procédures collectives de la logorrhée absconse de la Cour européenne des droits de l’homme et du raisonnement tout aussi obscur qui y est associé. En ce sens, l’arrêt en cause comporte un florilège d’expressions particulièrement vagues autorisant toute divagation judiciaire telles que : « la mesure de ce qui est nécessaire à une société démocratique pour protéger les droits d’autrui », « débat d’intérêt général » ou encore « l’information légitime du public ». C’est ainsi que la confidentialité ne serait pas opposable à la diffusion d’informations dans la presse sur un mandat ad hoc ou une conciliation si ces informations « relevaient d’un débat d’intérêt général » ou « contribuent à l’information légitime du public ». On comprend qu’un cadre d’appréciation aussi général ne permettra guère la prévisibilité des solutions et laissera place à une casuistique qui caractérise déjà la jurisprudence européenne (en ce sens, S. Doray, BJE 2016, p. 94, note sous l’arrêt du 15 décembre 2015). En définitive, il n’est pas certain que le remède qui a sauvé la confidentialité dans l’affaire en cause ne se révèle pas, à l’expérience, pire que le mal !