Compétence des tribunaux de commerce et groupes de sociétés : une innovation (de la loi Macron) peut en cacher une autre !

Décidément, la loi Macron n’a pas fini d’alimenter les chroniques doctrinales ou les formations professionnelles ! Parmi la flopée des dispositions de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 se rapportant de près ou de loin aux procédures collectives, on trouve l’article 231 qui détermine la compétence des tribunaux de commerce spécialisés dans un nouvel article L. 721-8 du Code de commerce, la liste proprement dite des tribunaux de commerce spécialisés et leur ressort devant encore être fixés par décret pris après avis en Conseil d’Etat. Ce n’est pas une surprise. En revanche, comme un train peut en cacher un autre, l’article 231 de la loi Macron a pu en cacher un autre, l’article 233, qui vient modifier profondément l’article L. 662-8 du Code de commerce, tout juste créé par l’ordonnance du 12 mars 2014, pour instaurer en droit français un traitement centralisé des groupes de sociétés. Cette innovation était moins attendue. Elle mérite que l’on s’y arrête, notamment, pour analyser sa coordination avec le nouvel article L. 721-8 du Code de commerce. En effet, tant ce dernier article que l’article L. 662-8 du même code prennent désormais en compte l’existence des groupes de sociétés dans le cadre de la compétence juridictionnelle. Le nouvel article L. 721-8 réserve aux tribunaux de commerce spécialisés les procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire et même de conciliation dans le cas où le débiteur est « une société qui détient ou contrôle une autre société, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, dès lors que le nombre de salariés de l’ensemble des sociétés concernées est égal ou supérieur à 250 et que le montant net du chiffre d’affaires de l’ensemble de ces sociétés est d’au moins 20 millions d’euros » ou « que le montant net du chiffre d’affaires de l’ensemble de ces sociétés est d’au moins 40 millions d’euros ». On remarquera que, littéralement, les tribunaux de commerce spécialisés connaissent des procédures affectant « une société », la société dominante du groupe, et qu’il n’est pas explicitement énoncé à l’article L. 721-8 que ces juridictions spécialisées connaissent aussi des difficultés concernant les sociétés dominées. Cette précision est, en revanche, expressément faite à l’article L. 662-8 modifié par l’article 233 de la loi Macron. Le tribunal (non spécialisé) est non seulement compétent pour connaître de « toute procédure » concernant une société dominante au sens des articles L. 233-1 et 233-3, sans aucune condition de chiffre d’affaires ou de nombre de salariés, mais « il est également compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui est détenue ou contrôlée, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, par une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui ». En outre, le dernier alinéa de l’article L. 662-8 apporte une précision déterminante qui permet de comprendre que les tribunaux de commerce spécialisés peuvent aussi traiter des difficultés des groupes de sociétés. En effet, il indique que « par dérogation », toute procédure se rapportant à une société « détenue ou contrôlée au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3 » par une société qui est soumise à une procédure ouverte par un tribunal de commerce spécialisé doit être renvoyée devant ce même tribunal spécialisé. Il faut avouer que ce renvoi de compétence à un tribunal de commerce spécialisé par un article qui traite de la compétence des tribunaux non spécialisés est quelque peu alambiqué. Il aurait été bien préférable que l’article L. 721-8 comporte, comme l’article L. 662-8, une disposition indiquant expressément que les tribunaux de commerce spécialisés sont également compétents pour connaître de toute procédure concernant une société détenue ou contrôlée par une société pour laquelle une procédure est en cours devant l’un d’eux. La répartition des compétences entre tribunaux de commerce spécialisés et tribunaux de droit commun aurait été parfaitement claire et fonction de critères de chiffres d’affaires ou de nombre de salariés. En l’état des textes, on parvient, certes, au même résultat mais par une interprétation combinée de deux articles précités, ce qui n’est pas très satisfaisant.