Clause de garantie de passif : quel bénéficiaire à défaut de désignation?

La qualité de bénéficiaire d’une clause de garantie d’actif et de passif est une question traditionnelle qui donne lieu à un contentieux récurrent. En effet, la clause peut désigner comme bénéficiaire, le cessionnaire, la société dont les droits sociaux sont cédés, voire un créancier de celle-ci, la clause s’analysant dans ces deux derniers cas en une stipulation pour autrui. Ainsi n’y a-t-il pas de difficulté lorsque la clause est claire. Mais, encore faut-il que la clause désignant le bénéficiaire soit précise, à peine d’être interprétée souverainement par le juge.

A fortiori, la question du bénéficiaire se pose avec davantage d’acuité encore en l’absence de toute désignation du bénéficiaire dans la clause de garantie d’actif et de passif. C’est tout l’intérêt de l’arrêt de la Chambre commerciale du 8 mars 2017 (n° 15-19.174) que d’apporter des éléments de réponse sur ce point.

Ainsi, il ressort de cet arrêt qu’à défaut de stipulation claire, c’est le cessionnaire qui doit être considéré comme bénéficiaire de la clause de garantie de passif. Bien que posée par un arrêt non publié, la solution mérite l’attention car même si elle n’est pas la première du genre, elle n’a pas toujours été en ce sens. On se souvient, en effet, que la même Chambre commerciale avait considéré dans des décisions plus anciennes qu’en l’absence de désignation du bénéficiaire, la clause de garantie de passif était réputée stipuler au profit de la société dont les droits étaient cédés ((Cass. com. 19 décembre 1989, Bull. Joly 1990 p. 177 ; Cass. 1re civ., 11 juill. 2006, JCP E 2006, 2749, note C. Legros).

Or la qualité de bénéficiaire est un élément de qualification de la clause elle-même puisqu’il est admis que dans le cadre d’une clause de révision de prix (aussi dénommée clause de garantie de prix ou de garantie de valeur), seul le cessionnaire peut être le bénéficiaire. L’enjeu de la qualification est essentiel puisque le cédant supporte le passif sans limite dans les clauses de garantie d’actif et de passif, alors que dans les clauses de révision de prix, les sommes éventuellement dues par le cédant ne peuvent pas dépasser le prix de cession.

Néanmoins, si la solution de l’arrêt sous commentaire devait s’avérer comme une solution de principe, la qualité de bénéficiaire perdrait, hormis l’hypothèse d’une désignation explicite, sa valeur d’élément caractéristique de la clause puisque aussi bien dans le cadre d’une clause de révision de prix que dans le cadre d’une clause de garantie de passif, le cessionnaire serait considéré comme le bénéficiaire de principe.

En réalité, la question est donc de savoir si la Cour de cassation pris définitivement parti ou si elle se laisse encore quelque latitude au sujet de la qualité de bénéficiaire d’une clause de garantie d’actif et de passif, à défaut de désignation explicite.

Depuis les arrêts antérieurs précités qui manifestaient une préférence en faveur de la société cédée comme bénéficiaire à défaut de désignation expresse dans la clause de garantie d’actif et de passif, on relève un précédent en faveur la reconnaissance du cessionnaire comme bénéficiaire de principe dans arrêt du 26 février 2013 (n° 12-15.216) dans lequel la Cour de cassation approuvait la motivation de la cour d’appel selon laquelle la clause avait « pour seul objet de permettre à la société cédée de bénéficier de la garantie de passif dont le cessionnaire est normalement le bénéficiaire à défaut de clause expresse ».

L’arrêt sous commentaire fait de même en paraissant reprendre à son compte la formulation de l’arrêt ayant fait l’objet du pourvoi, la Cour de cassation mentionnant : « Mais attendu qu’après avoir rappelé que le bénéficiaire d’une garantie d’actif et de passif est, en principe, le cessionnaire des droits sociaux… ». Cependant, pour être tout à fait certain que la Cour de cassation fait totalement sienne cette affirmation, il aurait fallu trouver les expressions manifestant expressément son approbation telles que « exactement » ou « à bon droit » insérées dans la phrase de la manière suivante : « mais attendu qu’après avoir rappelé, (à bon droit) ou (exactement), que le bénéficiaire d’une garantie d’actif et de passif est, en principe, le cessionnaire… »

A défaut de mention desdites expressions, il n’est pas possible de conclure que la Cour de cassation élève au rang de principe l’affirmation précitée. On doit simplement considérer que la Cour de cassation a estimé qu’au regard des situations qui lui ont été soumises et des moyens des pourvois, une telle affirmation ne méritait pas d’être censurée.

C’est donc, après l’arrêt du 26 février 2013, un nouveau pas dans le sens de l’admission d’un principe en faveur de reconnaissance du cessionnaire comme bénéficiaire de la clause de garantie de passif, en l’absence de désignation expresse. Mais, ce n’est pas encore l’admission définitive d’un tel principe, d’où l’absence de publication de l’arrêt au Bulletin de la Cour de cassation.

D’où, plus que jamais, la nécessité de recommander aux praticiens de libeller précisément les clauses de garantie d’actif et de passif et, notamment, pour éviter toute incertitude jurisprudentielle, de désigner expressément et clairement le bénéficiaire de la clause de garantie d’actif et de passif.