L’arrêt Tinkers de la Cour de justice (CJUE, 9 nov. 2017, aff. C-641/16) apporte incontestablement des éclaircissements au sujet des actions annexes. En effet, la jurisprudence européenne antérieure pouvant apparaître incertaine en raison de deux arrêts difficilement conciliables rendus par la Cour de justice à seulement trois mois d’intervalles (CJUE, 4 sept. 2014, aff. C-157/13, Nickel : JurisData no 2014-020378 ; Rev. proc. coll. 2015, comm. 90, Th. Mastrullo. – CJUE, 6e ch., 4 déc. 2014, aff. C-295/13, H : JurisData no 2014-032646 ; Rev. proc. coll. 2015, comm. 141, obs. M. Menjucq ; Bull. Joly Sociétés 2015, p. 95, note D. Robine et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2015, p. 462, note D. Bureau), la chambre commerciale de la Cour de cassation préféra dans un arrêt du 29 novembre 2016 (n° 14-23.273 : JurisData n° 2016-027119 ; Rev. proc. coll. 2017, comm. 61, obs. M. Menjucq) surseoir à statuer et poser, sur le fondement de l’article 3, § 1 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 sur les procédures d’insolvabilité, une question préjudicielle consistant à savoir si « l’action en responsabilité pour concurrence déloyale s’analyse en une action de droit commun, étrangère à la procédure principale d’insolvabilité ouverte devant le tribunal de Darmstadt, ou si, au contraire, elle entre dans la catégorie des actions qui dérivent directement de cette procédure et qui s’y insèrent étroitement, relevant de la compétence de cette juridiction. » Cette question fut posée à l’occasion d’un litige portant sur une action délictuelle en concurrence déloyale exercée par une société de droit français à l’encontre de la société mère et de sa filiale, cette dernière étant cessionnaire d’une branche d’activité acquise auprès d’une société de droit allemand en procédure d’insolvabilité en Allemagne et dont la société de droit français était le distributeur exclusif en France. La société mère et sa filiale cessionnaire de la branche d’activité s’étaient pourvues en cassation au motif que l’action délictuelle en concurrence déloyale dérivait, selon elles, directement de la procédure d’insolvabilité allemande et s’y insérait étroitement, de sorte qu’elle relevait de la seule compétence de la juridiction allemande ayant ouvert la procédure d’insolvabilité.
Dans sa décision du 9 novembre 2017, la Cour de justice fait incontestablement un effort de pédagogie. Pour ce faire, elle part des travaux préparatoires de la convention du 27 septembre 1968, ancêtre du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (aujourd’hui lui aussi remplacé par le règlement (UE) n° 1215/2012), sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, pour affirmer que cette convention généraliste et, à sa suite, les règlements qui l’ont remplacée doivent s’interpréter largement, au contraire du règlement n° 1346/2000 (et à sa suite aussi du règlement (UE) n° 2015/848 qui le remplace) qui, texte spécial aux procédures d’insolvabilité « ne doit pas faire l’objet d’une interprétation large » (pt 18). Citant à quatre reprises l’arrêt Nickel et ne faisant aucune référence à l’arrêt H, la Cour en déduit que c’est seulement lorsque le double critère des actions qui « dérivent directement de la procédure d’insolvabilité (première branche du critère) et s’y insèrent étroitement (deuxième branche du critère) », repris tant dans le règlement n° 44/2001 que dans le règlement n° 1346/2000, est vérifié que les actions sont exclues du champ d’application du règlement n° 44/2001. Ayant posé ce principe, la Cour procède, dans le cas qui lui est soumis, à la vérification de ce double critère par l’action en concurrence déloyale (pt 21).
Au regard de la première branche du critère, elle rappelle que pour déterminer si une action dérive directement d’une procédure d’insolvabilité, l’élément déterminant « est non pas le contexte procédural dans lequel s’inscrit cette action, mais le fondement juridique de cette dernière. Selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou l’obligation qui sert de base à l’action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d’insolvabilité » (pt 22). Ce faisant, la Cour s’inscrit dans le droit fil de l’arrêt Nickel auquel elle se réfère d’ailleurs de manière exclusive. Appliquant ce critère à l’action en concurrence déloyale, la Cour ne peut que constater que cette action « ne trouve pas son fondement dans des règles spécifiques aux procédures d’insolvabilité ».
Poursuivant sa vérification au regard de la deuxième branche du critère, afin de déterminer si l’action s’insère étroitement dans la procédure d’insolvabilité, la Cour affirme que « c’est l’intensité du lien existant entre une action juridictionnelle et la procédure d’insolvabilité qui est déterminante ». À l’égard d’une action en concurrence déloyale à l’encontre du cessionnaire d’une branche d’activité cédée dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, les droits étant entrés dans le patrimoine du cessionnaire, il n’existait plus de lien suffisamment direct et étroit avec l’insolvabilité du débiteur pour que le règlement no 44/2001 soit exclu et que le règlement no 1346/2000 soit applicable. La Cour de justice en déduit que l’article 3, § 1 du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens que ne relève pas de la compétence du tribunal ayant ouvert la procédure d’insolvabilité une action en responsabilité pour concurrence déloyale exercée à l’encontre du cessionnaire d’une branche d’activité acquise dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité. L’approche de la Cour de justice est ainsi exigeante puisqu’il se déduit de l’arrêt que pour qu’une action relève du règlement n° 1346/2000 (et aussi du règlement n° 2015/848), il est nécessaire qu’elle vérifie les deux branches du critère qui s’appliquent donc cumulativement, à savoir que l’action en cause d’une part, trouve son fondement dans des règles propres aux procédures d’insolvabilité et d’autre part, qu’elle ait un lien direct et étroit suffisamment intense avec la procédure d’insolvabilité.