La Chambre criminelle de la Cour de cassation ne cesse, au fil de ses décisions en matière de abus de biens sociaux dans le cadre d’une société étrangère, de dériver vers des solutions dont non seulement la cohérence juridique est difficile à saisir mais désormais, avec un arrêt du 25 juin 2014 (n° 13-84.445), paraissent directement contraires au droit européen des sociétés.
En l’occurrence, une personne physique avait été condamnée par la Cour d’appel de Pau à des peines d’amende et d’emprisonnement ainsi qu’à des peines complémentaires d’interdiction définitive d’exercer l’activité professionnelle de transport routier de marchandises pour abus de biens sociaux. Il lui était reproché d’avoir fait établir des fausses factures par une société (sociedad limitada) de droit espagnol au profit d’une société de droit anglais et ce afin de payer des dettes personnelles.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir dit pour droit que l’abus de biens sociaux était constitué du fait de la soumission de la société à la loi française en raison de la réalisation sur le territoire français de l’essentiel de l’activité et du chiffre d’affaire ainsi que de la présence d’un local d’exploitation.
Or cette affirmation consistant à déduire l’application de la loi française de la localisation en France de son activité et d’un établissement d’exploitation d’une part, n’est pas à elle seule suffisante pour caractériser l’abus de biens sociaux et d’autre part, dans le cadre européen dans lequel s’inscrit cette affaire, paraît d’une conformité très douteuse à la jurisprudence européenne sur le droit d’établissement des sociétés.
Il faut rappeler, en premier lieu, que l’abus de biens sociaux est une infraction spéciale qui est propre aux seules sociétés de capitaux comme le prévoit le code de commerce. Il en résulte que la soumission d’une société au droit français n’est pas suffisante pour en déduire l’applicabilité de l’infraction d’abus de biens sociaux. Il est aussi nécessaire que la société victime de l’infraction revête l’une des formes énumérées par les articles du Code de commerce. Or ce code ne visant que des formes sociales prévues par le droit français, un abus de biens sociaux ne devrait pas pouvoir être réalisé au sein d’une société de droit étrangère. Ce n’est donc que par un raisonnement par analogie, contraire au principe d’interprétation stricte du droit pénal, que la Cour de cassation peut appliquer cette infraction à un dirigeant d’une société de droit étranger.
En deuxième lieu, en déduisant du seul exercice sur le territoire français de l’essentiel de l’activité sociale et du chiffre d’affaire ainsi que de la présence d’un local d’exploitation que la société constituée en Espagne était soumise au droit français, la Cour de cassation ne parait pas se conformer à la jurisprudence européenne sur la liberté d’établissement issue arrêts Centros, Überseering et Inspire Art.
Ainsi, non contente de ne pas avoir satisfait au principe fondamental du droit pénal de la légalité des délits et des peines, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, a aussi dérivé jusqu’à contrarier la liberté d’établissement qui est l’une des libertés fondamentales de l’Union européenne.