Le surendettement exclu du domaine du règlement sur les procédures d’insolvabilité

Saisie d’un pourvoi qui reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir fait application du règlement n° 1346/2000 à une procédure de surendettement des particuliers, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme dans un arrêt du 17 mars 2016 (n° 14-26.868) que « les procédures de traitement du surendettement des particuliers ne sont pas au nombre de celles auxquelles s’applique le règlement (CE) n º 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité ». Elle en déduit que la cour d’appel a « exactement énoncé qu’elle n’avait pas à décider du sort de la demande de M. X… au regard de ce règlement, mais uniquement au regard des conditions fixées par les articles L. 330-1 et suivants du Code de la consommation sur le traitement des situations de surendettement ».

C’est à juste titre que la Cour de cassation conclut à l’inapplication du règlement n° 1346/2000 en raison de l’absence de mention de la procédure de surendettement des particuliers dans l’annexe A du règlement n° 1346/2000 qui, pour la France, ne vise que la sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire. En effet, la mention d’une procédure dans l’annexe A implique qu’elle soit considérée commune une procédure d’insolvabilité comme l’a précisé la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Bank Handlowy c/ Christianopole du 22 novembre 2012 (aff. C-116/1) en énonçant : « Dès lors qu’une procédure est inscrite à l’annexe A du règlement, elle doit être considérée comme relevant du champ d’application du règlement. Cette inscription bénéficie de l’effet direct et obligatoire attaché aux dispositions d’un règlement ». A contrario, en l’absence de mention dans l’annexe A, une procédure ne saurait être considérée comme une procédure d’insolvabilité et à cet égard peu importe, par ailleurs, qu’elle vérifie ou non la définition des procédures d’insolvabilité de l’article 1er du règlement n° 1346/2000. C’est une telle interprétation que retient la Cour de cassation pour exclure les procédures de surendettement du champ d’application du règlement n° 1346/2000. Cette interprétation est parfaitement justifiée et elle est très nettement confirmée respectivement par le considérant 9 et l’article 1er du nouveau règlement n° 2015/848 du 20 mai 2015 qui sera applicable aux procédures ouvertes à compter du 26 juin 2017. Le considérant 9 précise effectivement que « Ces procédures d’insolvabilité sont limitativement énumérées à l’annexe A » et que « Les procédures d’insolvabilité nationales qui ne figurent pas à l’annexe A ne devraient pas relever du présent règlement ». L’article 1er du nouveau règlement dispose quant à lui : « La liste des procédures (d’insolvabilité) figure à l’annexe A ». Difficile d’être plus clair. Or pas davantage que le règlement n° 1346/2000, le nouveau règlement n° 2015/848 ne mentionne dans son annexe A, les procédures de surendettement des particuliers alors même que le nombre de procédures françaises s’accroît et passe à cinq, la nouvelle annexe A visant, outre les trois procédures précitées figurant dans l’annexe A du règlement n° 1346/2000, la sauvegarde accélérée et la sauvegarde financière accélérée. En définitive, justement exclues par la Cour de cassation du champ d’application du règlement n° 1346/2000, les procédures de surendettement des particuliers le sont aussi du nouveau règlement prochainement applicable.

Exclues du champ d’application du droit européen des procédures d’insolvabilité, les procédures de surendettement des particuliers basculent dans le domaine du droit international des faillites. À ce titre, à défaut de règles françaises régissant les situations internationales, ces dernières sont soumises aux règles applicables aux situations internes. C’est ainsi que comme l’affirme exactement la Cour de cassation, le surendetté, serait-il dans une situation internationale caractérisée, est soumis aux dispositions françaises du Code de la consommation relatives au surendettement. Quant à la reconnaissance de cette procédure exclue du champ d’application du règlement n° 1346/2000, dans les autres États, même membres de l’Union européenne, elle n’est pas de plein droit comme c’est le cas pour les procédures d’insolvabilité européennes mais au contraire est soumise à l’exequatur dans les conditions du droit commun de chaque État où il est sollicité.

L’arrêt KA Finanz AG du 7 avril 2016 : première décision sur l’interprétation de la directive 2005/56/CE relative aux fusions transfrontalières de société de capitaux

La Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de se prononcer dans cette affaires (CJUE, 3ème ch., 7 avril 2016, aff. C-483/14) pour la première fois directement sur la directive 2005/56/CE du 26 octobre 2005 relative aux fusions transfrontalières de sociétés de capitaux. Dans l’espèce à l’origine de la question préjudicielle, un prêteur demandait le paiement des intérêts d’emprunts subordonnés auprès de la société Ka Finanz en tant que société absorbante de la société emprunteuse. Cette dernière contestait que les obligations résultant de ces emprunts lui aient été transmises et prétendait que ces emprunts qui présentaient le caractère de fonds propres et constituaient des titres participatifs au sens de la loi allemande, avait en outre perdu toute valeur du fait de la disparition totale des fonds propres de la société absorbée. La décision de la Cour de justice porte sur plusieurs points cruciaux : la loi applicable à la protection des créanciers, les effets de la fusion sur les contrats conclus avant celle-ci par la société absorbée et enfin, la distinction entre les titres visés à l’article 15 de la directive 78/855 et les autres titres de créances. La Cour de justice fait une interprétation très orthodoxe des dispositions de la directive sur ces tous ces points. Selon la Cour, l’extension aux fusions transfrontalières des règles des fusions internes s’applique pleinement à la protection des créanciers comme le rappelle la Cour de justice de l’Union européenne en affirmant : « il découle du considérant 3 et de l’article 4 de la directive 2005/56/CE qu’une société participant à une fusion transfrontalière reste soumise, en ce qui concerne notamment la protection de ses créanciers, aux dispositions et aux formalités de la législation nationale qui serait applicable dans le cadre d’une fusion nationale » (point 60). Elle en déduit que les règles garantissant la protection des créanciers de la société absorbée sont, même après la fusion, « celles de la législation nationale dont relevait cette société » (point 61). On sait effectivement que cette extension aux fusions transfrontalières des règles applicables aux fusions internes est à la base même de la méthode de la directive 2005/56/CE qui, pour surmonter les obstacles ayant longtemps entravé les fusions transfrontalière, réalise une combinaison habile entre d’une part, une application à chacune des sociétés participant à l’opération de sa propre loi nationale pour toutes les modalités qui peuvent être réalisées distinctement et d’autre part, de règles matérielles européennes (voir M. Menjucq, Droit international et européen des sociétés, précis Domat, LGDJ, 4ème éd. octobre 2016, n° 326 et s.). S’agissant des effets de la fusion transfrontalière, ce sont les mêmes que ceux prévus pour les opérations internes par la directive no 78/855/CEE, remplacée, depuis le 1er juilllet 2011, par la directive 2011/35/UE, à savoir principalement, le transfert universel du patrimoine dont la Cour de justice avait déduit dans un arrêt antérieur du 5 mars 2015 (n° C-343/13, Rev. soc. 2015, p. 677, note B. Lecourt ; D. 2015, p. 1506, obs. C. Mascala ; Bull. Joly 2015, p. 200, note A. Couret ; Dr. Sociétés 2015, n° 89, obs. M. Roussille. Voir aussi H. Le Nabasque, Personnalité des délits et des peines et fusions, Bull. Joly 2015, p. 393) la transmission, à la société absorbante, de l’obligation de payer une amende infligée par décision définitive après cette fusion pour des infractions au droit du travail commises par la société absorbée avant ladite fusion. Dans l’arrêt KA Finanz, elle en déduit tout aussi logiquement que la fusion « entraîne, sans novation, la substitution de la société absorbante à la société absorbée comme partie à l’ensemble des contrats conclus par cette dernière » (point 58), pour en conclure que la loi applicable, à la suite d’une fusion par absorption transfrontalière, à l’interprétation, à l’exécution des obligations ainsi qu’aux modes d’extinction d’un contrat d’emprunt, tel que les contrats d’emprunt en cause au principal, conclu par la société absorbée, est celle qui était applicable à ce contrat avant cette fusion ». Enfin, en ce qui concerne la notion de titres au porteur visé par l’article 15 de la directive 78/855, la Cour considère que ce sont « ceux qui confèrent à leurs porteurs des droits plus étendus qu’un simple remboursement des créances et des intérêts convenus » (point 66). Elle relève que ce ne parait pas être le cas des titres en cause mais que si la juridiction nationale jugeait le contraire, il convient d’interpréter ledit article 15 comme conférant « des droits aux porteurs de titres, autres que des actions, auxquels sont attachés des droits spéciaux, mais non à l’émettrice de tels titres ».

Confidentialité de la prévention et liberté d’expression : entre le deux, la Cour de cassation ne balance pas

La Cour de cassation a rendu le 15 décembre 2015 (n° 14-11500), un arrêt remarqué par lequel elle a fait prévaloir la confidentialité du mandat ad hoc et de conciliation sur la liberté d’expression de la presse. Sans faire un nouveau commentaire de cet arrêt qui a déjà été très commenté (on lira par exemple, M.-H. Monsérié-Bon, La confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation vers liberté d’expression, Revue Lamy droit des affaire, avril 2016, p. 39 et s.), quelques réflexions sur la méthode utilisée par la Cour de cassation méritent d’être avancées. En effet, pour la première fois, à notre connaissance, en droit des entreprises en difficulté, la Chambre commerciale de la Cour de cassation emprunte la méthode de la « balance des intérêts » aux juridictions européennes, notamment à la Cour européenne des droits de l’Homme, cette méthode consistant, en présence de droits ayant « la même valeur normative » à « privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime » (voir P.- Y. Gautier, Contre la « balance des intérêts » : hiérarchie des droits fondamentaux, D. 2015, p. 2189). Faut-il se réjouir de l’introduction de cette nouvelle méthode raisonnement en droit des entreprises en difficulté?

Au regard du résultat obtenu consistant dans l’extension de l’obligation de confidentialité aux médias écrits, une réponse positive paraît s’imposer. Il est ainsi inutile de rappeler le caractère déterminant de la confidentialité pour le mandat ad hoc et la conciliation. Elle est le gage même de la réussite de la prévention. Il aurait donc été fort préjudiciable pour les entreprises en difficulté que cette confidentialité ne puisse être opposée aux journalistes en raison du principe fondamental de la liberté d’expression. Or l’article L. 611-15 du Code de commerce était à cet égard insuffisant car en obligeant à la confidentialité  seulement « toute personne appelée à la procédure de conciliation et à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance », il paraissait difficile de l’appliquer à des journalistes de la presse, fût-elle spécialisée. D’où l’avantage de la méthode de la Cour de cassation qui a, sur le fondement de l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, élargi le cercle des personnes tenues à la confidentialité en affirmant de manière péremptoire que « le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises imposé par (l’article L. 611-15 du Code de commerce) pour protéger les droits et libertés des entreprises recourant à ces procédures, fait obstacle à leur diffusion par voie de presse, … ». L’article 10 § 2 de la Convention permet donc d’astreindre à la confidentialité des personnes hors de la portée immédiate de l’article L. 611-15, ce qui est incontestablement une solution opportune pour la prévention des difficultés des entreprises.

Pour autant, à la réflexion, il n’est pas si évident que l’emploi par la Chambre commerciale d’une telle méthode de raisonnement constitue une bonne nouvelle. En effet, le recours à cette méthode de la « balance des intérêts » s’accompagne de la transposition en droit des procédures collectives de la logorrhée absconse de la Cour européenne des droits de l’homme et du raisonnement tout aussi obscur qui y est associé. En ce sens, l’arrêt en cause comporte un florilège d’expressions particulièrement vagues autorisant toute divagation judiciaire telles que : « la mesure de ce qui est nécessaire à une société démocratique pour protéger les droits d’autrui », « débat d’intérêt général » ou encore « l’information légitime du public ». C’est ainsi que la confidentialité ne serait pas opposable à la diffusion d’informations dans la presse sur un mandat ad hoc ou une conciliation si ces informations « relevaient d’un débat d’intérêt général » ou « contribuent à l’information légitime du public ». On comprend qu’un cadre d’appréciation aussi général ne permettra guère la prévisibilité des solutions et laissera place à une casuistique qui caractérise déjà la jurisprudence européenne (en ce sens, S. Doray, BJE 2016, p. 94, note sous l’arrêt du 15 décembre 2015). En définitive, il n’est pas certain que le remède qui a sauvé la confidentialité dans l’affaire en cause ne se révèle pas, à l’expérience, pire que le mal !

Opposabilité de la clause compromissoire au liquidateur judiciaire

Les relations entre d’une part les procédures collectives, particulièrement la liquidation judiciaire, et d’autre part l’arbitrage  demeurent complexes. Certes, de l’eau jurisprudentielle a coulé sous les ponts et il n’est plus soutenu que la matière des procédures collectives serait globalement inarbitrable en raison de son caractère d’ordre public. A cet égard, plusieurs décisions de la Cour de cassation rendues en 2015 dans le cadre de liquidations judiciaires apportent des éclairages utiles sur le problème spécifique de l’opposabilité des clauses compromissoire au liquidateur judiciaire. Ainsi, dans un arrêt du 1er avril 2015 (n° 14-14.552, Procédures n° 6/ 2015, comm. 195, obs. L. Weiller ; JCP E 2015, 1273, note C. Lebel), la première Chambre civile de la Cour de cassation a considéré que lorsque le « liquidateur use de la faculté de poursuivre l’exécution d’un contrat. Celle-ci s’accompagne de tous les droits et obligations qui s’y rattachent, ce qui implique l’observation de la clause compromissoire qui y est stipulée ». La Chambre commerciale de la Cour de cassation, de son côté, a estimé dans un arrêt du 17 novembre 2015 (n° 14-16012, APC n° 20/2015, alerte 319, obs. L. Fin-Langer) que « le liquidateur qui demande, à titre principal, la nullité d’un acte sur le fondement des dispositions de l’article L. 632-1, I, 2° du code de commerce ne se substitue pas au débiteur dessaisi pour agir en son nom mais exerce une action au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers de sorte qu’une clause compromissoire stipulée à l’acte litigieux est manifestement inapplicable au litige ». Ce dernier arrêt est d’autant plus intéressant que la Chambre commercial procède par substitution de motif de pur droit approuvant ainsi le sens mais non le fondement de la solution de la cour d’appel dont la décision reposait sur l’article R. 662-3 du Code de commerce duquel cette dernière déduisait la compétence exclusive du tribunal de la procédure collective pour toutes les contestations nées de cette procédure ou sur lesquelles celle-ci a une influence juridique. Or par cette référence aux « contestations nées de la procédure collective ou sur lesquelles cette procédure exerce une influence » (voir par exemple, Cass. com., 8 juin 1993 : JurisData n° 1993-001256 ; Bull. civ. 1993, IV, n° 233), la cour d’appel se situait dans le droit fil de la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation qui distinguait entre les litiges liés à l’ouverture de la procédure collective, considérés comme inarbitrables, et ceux qui avaient leur cause “dans des faits ou dans des contrats antérieurs à la faillite et se serait produit de la même façon en dehors d’elle”(Cass. civ., 26 avr. 1906 : D. 1907, I, p. 25, note Valéry) et étaient donc arbitrables (sur cette distinction, voir E. Loquin, juris-cl. Procédure civile, fasc. 1024, n° 54 et s.). Ainsi, il ressort des deux arrêts précités rendus en 2015 que la Cour de cassation a fait évoluer le critère de distinction. Lorsque le liquidateur agit au nom du débiteur dessaisi et se substitue à lui, les engagements souscrits par le débiteur avant l’ouverture de la liquidation judiciaire, au rang desquels peut figurer une clause compromissoire, lui sont opposables car il se substitue à une partie contractante. On trouve déjà très exactement en ce sens, relativement à une action en nullité pour dol, un arrêt de la première Chambre civile du 29 janvier 2014 (n° 12-29.104, Procédures n° 5, Mai 2014, comm. 145, obs. L. Weiller). En revanche, lorsque le liquidateur judiciaire agit dans l’intérêt collectif des créanciers, comme il le fait dans le cadre d’une action en nullité de la période suspecte, il ne se substitue pas à une partie contractante. Dans une telle situation, il est donc un tiers au contrat en cause et en application du principe de l’effet relatif du contrat, les clauses contractuelles, parmi lesquelles la clause compromissoire, ne lui sont pas opposables (déjà dans en ce sens Cass. com., 14 janv. 2004, Rev. arb. 2004, p. 592, note P. Ancel). Ce nouveau critère de distinction peut conduire dans certains cas à des solutions différentes de celles résultant du critère antérieur, par exemple pour l’action en responsabilité exercée dans l’intérêt collectif des créanciers qui ne naitrait pas de l’ouverture de la procédure collective ou sur laquelle celle-ci n’aurait pas d’influence juridique (en ce sens L. Fin-Langer, obs. précitées sous Cass. com. 17 novembre 2015). Cette évolution du critère de distinction est à approuver car même si la notion d’intérêt collectif n’est pas sans critique (voir F. Pérochon, Entreprises en difficultés : LGDJ, 9e éd., n° 512 et s.), ce nouveau critère permet de distinguer plus précisément les situations juridiques dans lesquelles la clause compromissoire est opposable au liquidateur judiciaire et celles où elle ne l’est pas.

Compétence des tribunaux de commerce et groupes de sociétés : une innovation (de la loi Macron) peut en cacher une autre !

Décidément, la loi Macron n’a pas fini d’alimenter les chroniques doctrinales ou les formations professionnelles ! Parmi la flopée des dispositions de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 se rapportant de près ou de loin aux procédures collectives, on trouve l’article 231 qui détermine la compétence des tribunaux de commerce spécialisés dans un nouvel article L. 721-8 du Code de commerce, la liste proprement dite des tribunaux de commerce spécialisés et leur ressort devant encore être fixés par décret pris après avis en Conseil d’Etat. Ce n’est pas une surprise. En revanche, comme un train peut en cacher un autre, l’article 231 de la loi Macron a pu en cacher un autre, l’article 233, qui vient modifier profondément l’article L. 662-8 du Code de commerce, tout juste créé par l’ordonnance du 12 mars 2014, pour instaurer en droit français un traitement centralisé des groupes de sociétés. Cette innovation était moins attendue. Elle mérite que l’on s’y arrête, notamment, pour analyser sa coordination avec le nouvel article L. 721-8 du Code de commerce. En effet, tant ce dernier article que l’article L. 662-8 du même code prennent désormais en compte l’existence des groupes de sociétés dans le cadre de la compétence juridictionnelle. Le nouvel article L. 721-8 réserve aux tribunaux de commerce spécialisés les procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire et même de conciliation dans le cas où le débiteur est « une société qui détient ou contrôle une autre société, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, dès lors que le nombre de salariés de l’ensemble des sociétés concernées est égal ou supérieur à 250 et que le montant net du chiffre d’affaires de l’ensemble de ces sociétés est d’au moins 20 millions d’euros » ou « que le montant net du chiffre d’affaires de l’ensemble de ces sociétés est d’au moins 40 millions d’euros ». On remarquera que, littéralement, les tribunaux de commerce spécialisés connaissent des procédures affectant « une société », la société dominante du groupe, et qu’il n’est pas explicitement énoncé à l’article L. 721-8 que ces juridictions spécialisées connaissent aussi des difficultés concernant les sociétés dominées. Cette précision est, en revanche, expressément faite à l’article L. 662-8 modifié par l’article 233 de la loi Macron. Le tribunal (non spécialisé) est non seulement compétent pour connaître de « toute procédure » concernant une société dominante au sens des articles L. 233-1 et 233-3, sans aucune condition de chiffre d’affaires ou de nombre de salariés, mais « il est également compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui est détenue ou contrôlée, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, par une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui ». En outre, le dernier alinéa de l’article L. 662-8 apporte une précision déterminante qui permet de comprendre que les tribunaux de commerce spécialisés peuvent aussi traiter des difficultés des groupes de sociétés. En effet, il indique que « par dérogation », toute procédure se rapportant à une société « détenue ou contrôlée au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3 » par une société qui est soumise à une procédure ouverte par un tribunal de commerce spécialisé doit être renvoyée devant ce même tribunal spécialisé. Il faut avouer que ce renvoi de compétence à un tribunal de commerce spécialisé par un article qui traite de la compétence des tribunaux non spécialisés est quelque peu alambiqué. Il aurait été bien préférable que l’article L. 721-8 comporte, comme l’article L. 662-8, une disposition indiquant expressément que les tribunaux de commerce spécialisés sont également compétents pour connaître de toute procédure concernant une société détenue ou contrôlée par une société pour laquelle une procédure est en cours devant l’un d’eux. La répartition des compétences entre tribunaux de commerce spécialisés et tribunaux de droit commun aurait été parfaitement claire et fonction de critères de chiffres d’affaires ou de nombre de salariés. En l’état des textes, on parvient, certes, au même résultat mais par une interprétation combinée de deux articles précités, ce qui n’est pas très satisfaisant.

Le nouveau règlement insolvabilité a abouti

Le texte définitif d’un nouveau règlement relatif aux procédures d’insolvabilité a été adopté par le Conseil de l’Union européenne le 4 décembre 2014 après l’avoir été par le Parlement européen deux jours auparavant. Le processus législatif relatif au nouveau règlement doit se poursuivre quelques mois encore mais uniquement pour des raisons liées à la traduction dans toutes les langues officielles de cette nouvelle Babel qu’est l’Union européenne. Le contenu du nouveau règlement ne devrait plus subir de modification. Les nouvelles dispositions devraient être applicables, sous quelques réserves,  au printemps 2017.

Ce nouveau règlement révèle un changement notable du droit européen des procédures d’insolvabilité qui est, disons-le d’emblée, globalement positif. En effet, les nouvelles dispositions prennent largement en compte les évolutions du droit des entreprises en difficulté favorisant la restructuration des dettes des débiteurs plutôt que leur liquidation. En ce sens, le nouveau règlement s’inscrit dans la logique de la recommandation de la Commission européenne du 12 mars 2014 qui préconise l’insertion dans les droits des Etats membres de règles favorisant les procédures négociées et les plans de restructuration.

Les modifications et innovations du nouveau texte portent sur les points essentiels du droit européen des procédures d’insolvabilité. Ainsi, le champ d’application est élargi, essentiellement au regard des procédures susceptibles d’être qualifiées de « procédures d’insolvabilité ». Le critère principal de compétence juridictionnelle, le centre des intérêts principaux du débiteur, est, quant à lui, mieux défini et sa détermination s’intègre désormais dans la lutte contre le forum shopping. L’articulation des procédures principale et secondaire est précisée. Quant aux groupes de sociétés, le texte du nouveau règlement leur consacre un chapitre entier alors que dans le droit en vigueur, c’est uniquement par le biais d’une interprétation jurisprudentielle que les groupes bénéficient des dispositions européennes, la lettre du règlement n° 1346/2000 les ignorant totalement. Enfin, la situation des créanciers est aussi largement améliorée par des innovations importantes du nouveau règlement concernant la création de registres nationaux de l’insolvabilité et leur interconnexion, l’information des créanciers et la déclaration des créances.

Pour l’analyse du nouveau règlement, on lira la Revue des procédures collectives numéro de février 2015

Abus de biens sociaux dans le cadre de sociétés étrangères : la Chambre criminelle de la Cour de cassation à la dérive

La Chambre criminelle de la Cour de cassation ne cesse, au fil de ses décisions en matière de abus de biens sociaux dans le cadre d’une société étrangère, de dériver vers des solutions dont non seulement la cohérence juridique est difficile à saisir mais désormais, avec un arrêt du 25 juin 2014 (n° 13-84.445), paraissent directement contraires au droit européen des sociétés.

En l’occurrence, une personne physique avait été condamnée par la Cour d’appel de Pau à des peines d’amende et d’emprisonnement ainsi qu’à des peines complémentaires d’interdiction définitive d’exercer l’activité professionnelle de transport routier de marchandises pour abus de biens sociaux. Il lui était reproché d’avoir fait établir des fausses factures par une société (sociedad limitada) de droit espagnol au profit d’une société de droit anglais et ce afin de payer des dettes personnelles.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir dit pour droit que l’abus de biens sociaux était constitué du fait de la soumission de la société à la loi française en raison de la réalisation sur le territoire français de l’essentiel de l’activité et du chiffre d’affaire ainsi que de la présence d’un local d’exploitation.

Or cette affirmation consistant à déduire l’application de la loi française de la localisation en France de son activité et d’un établissement  d’exploitation d’une part, n’est pas à elle seule suffisante pour caractériser l’abus de biens sociaux et d’autre part, dans le cadre européen dans lequel s’inscrit cette affaire, paraît d’une conformité très douteuse à la jurisprudence européenne sur le droit d’établissement des sociétés.

Il faut rappeler, en premier lieu, que l’abus de biens sociaux est une infraction spéciale qui est propre aux seules sociétés de capitaux comme le prévoit le code de commerce. Il en résulte que la soumission d’une société au droit français n’est pas suffisante pour en déduire l’applicabilité de l’infraction d’abus de biens sociaux. Il est aussi nécessaire que la société victime de l’infraction revête l’une des formes énumérées par les articles du Code de commerce. Or ce code ne visant que des formes sociales prévues par le droit français, un abus de biens sociaux ne devrait pas pouvoir être réalisé au sein d’une société de droit étrangère. Ce n’est donc que par un raisonnement par analogie, contraire au principe d’interprétation stricte du droit pénal, que la Cour de cassation peut appliquer cette infraction à un dirigeant d’une société de droit étranger.

En deuxième lieu, en déduisant du seul exercice sur le territoire français de l’essentiel de l’activité sociale et du chiffre d’affaire ainsi que de la présence d’un local d’exploitation que la société constituée en Espagne était soumise au droit français, la Cour de cassation ne parait pas se conformer à la jurisprudence européenne sur la liberté d’établissement issue arrêts Centros, Überseering et Inspire Art.

Ainsi, non contente de ne pas avoir satisfait au principe fondamental du droit pénal de la légalité des délits et des peines, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, a aussi dérivé jusqu’à contrarier la liberté d’établissement qui est l’une des libertés fondamentales de l’Union européenne.

Les professions règlementées au pilori !

En cette rentrée 2014, le gouvernement espère trouver dans les réformes des professions réglementées des expédients à la crise, à moins que ce ne soit plutôt des exutoires. Aussi n’est-ce pas tout à fait un hasard si les professions réglementées ont été clouées au pilori médiatique durant tout l’été, notamment avec la publication des moyennes des rémunérations des 37 professions réglementées dans une sorte d’inventaire à la Prévert rassemblant, les mandataires et administrateurs judiciaires avec les plombiers, pharmaciens, notaires, médecins, contrôleurs techniques automobiles, chauffeurs de taxi ou menuisiers ? Inventaire dont il ressort que les mandataires et administrateurs judiciaires sont respectivement sur la deuxième et troisième marche du podium, derrière les greffiers des tribunaux de commerce. L’administration pourrait s’en réjouir ! Ce sont en effet des revenus taxables et corvéables à merci car non délocalisables contrairement aux profits des groupes internationaux. Mais non, pour l’IGF, il faut libéraliser ces professions, ce qui permettrait, selon son rapport, « à un horizon de cinq ans, de générer (…) un surcroît d’activité d’au moins 0,5 point de PIB, plus de 120 000 emplois supplémentaires et un surcroît d’exportation de 0,25 point de PIB ». Dans d’autres circonstances, ces prévisions prêteraient à sourire car on est vacciné contre ce type de prévision depuis que l’on nous a fait le coup avec les emplois que devaient créer les 35 heures ou la croissance quasi éternelle que devait assurer le passage à l’euro ! Cela ne signifie pas pour autant que les professions réglementées seraient intouchables. Dans une économie en mutation, une évolution peut évidemment être envisagée. La Commission européenne revient d’ailleurs régulièrement à la charge sur cette question. Le message sur la diminution des coûts pour le consommateur final est ainsi audible. Mais une éventuelle réforme devrait être faite dans un autre état d’esprit prenant acte aussi des avantages qu’offrent ces professions réglementées, par exemple en termes de sécurité juridique ou de garantie professionnelle.

En attendant le décret d’application de la réforme des procédures collectives…

En attendant le décret, actuellement en consultation publique, l’une des innovations de la réforme des procédures collectives réalisée par l’ordonnance du 12 mars 2014 mérite réflexion. En effet, à la suite de la modification de l’article 1844-7, 7° du Code civil par l’ordonnance,  à compter du 1er juillet 2014, la dissolution d’une société en liquidation judiciaire ne résultera plus du jugement ouvrant la procédure mais uniquement de la clôture de cette procédure pour insuffisance d’actif.

Si le principe doit être approuvé, cette innovation n’est pas sans poser des difficultés dont certaines pourraient être résolues par le projet de décret attendu pour la fin du mois de juin 2014.

Ainsi, dans le cas d’une clôture pour extinction de passif de la procédure de liquidation judiciaire, la société ne sera plus dissoute et pourra continuer son existence juridique tout au long de la procédure et postérieurement à celle-ci.

Il convient donc, par souci de cohérence, qu’au maintien de son existence juridique soit associé la possibilité d’un maintien de son existence économique, c’est-à-dire de son activité économique.

Or en l’état actuel du droit, l’activité ne peut être poursuivie dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire au maximum six mois correspondant à une durée de trois mois prolongée une fois, selon les articles L. 641-10 et R. 641-18 du Code de commerce.

Le nouveau principe de survie de la société à la clôture pour extinction de passif suppose donc que soit instituée la possibilité de prolonger le délai de maintien d’activité au-delà de ce que permet actuellement l’article R. 641-18 du Code de commerce.

Toutefois, un maintien prolongé de l’activité fait courir un risque d’aggravation du passif, notamment salarial, qu’il faut prendre en considération. Aussi la marge de manœuvre est-elle étroite et la rédaction d’une éventuelle disposition du décret parait compliquée mais nécessaire.

En ce sens, on pourrait suggérer aux rédacteurs du décret qu’à l’issue du délai de six mois, une deuxième prolongation de quatre mois (qui permettrait l’atteindre une durée de trois cents jours correspondant à la durée moyenne des liquidations judiciaires), puisse être accordée par le tribunal au vu d’un rapport du liquidateur sur la situation de l’entreprise, le rapport devant, notamment, indiquer si le règlement du passif exigible est possible.

Comme dans le droit actuel, la demande de prolongation ne pourrait émaner que du ministère public puisque son monopole d’initiative en la matière résulte de l’article L. 641-10 du Code de commerce qui ne saurait être modifié par décret.