Précisions sur la notion de “droit réel” au sens de l’article 5 du règlement n° 1346/2000

C’est un arrêt en trompe-l’œil qu’a rendu la Cour de justice de l’Union européenne le 26 octobre 2016 dans une affaire SCI Senior Home (aff. C-195/15). En effet, portant sur l’interprétation de la notion de « droit réel » de l’article 5 du règlement n° 1346/2000, il s’avère aller bien au-delà de la jurisprudence Hermann Lutz (CJUE, 16 avr. 2015, aff. C-557/13 (Lutz) : JurisData n° 2015-010885 ; Europe 2015, comm. 251, obs. L. Idot ; Rev. proc. coll. 2015, comm. 87, note Th. Mastrullo ; D. 2015, p. 2015, note R. Dammann et A.-M. Dang). On sait qu’en application de l’article 5, le titulaire d’un droit réel sur un bien situé, au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité sur le territoire d’un autre Etat membre que celui ou la procédure a été ouverte, peut librement mettre en œuvre son droit réel sans être affecté par la procédure d’insolvabilité. C’est donc une exception importante à l’effet universel de la procédure principale d’insolvabilité. En l’espèce, une société civile immobilière de droit français avait été placée en redressement judiciaire par la juridiction de Mulhouse. Cette société qui était propriétaire d’un immeuble en Allemagne n’avait pas payé ses taxes foncières et avait fait l’objet d’une vente forcée initiée par l’administration fiscale allemande sur le fondement de « charges foncières de droit public » considérées comme des droits réels en droit allemand car le propriétaire de l’immeuble en cause doit en tolérer l’exécution forcée. La juridiction allemande devant mettre en œuvre ces charges foncières au titre de l’article 5 du règlement n° 1346/2000 posa néanmoins une question sur l’interprétation à retenir de la notion de droit réel au sens de l’article précité. Réitérant l’arrêt Hermann Lutz du 16 avril 2015 précité, la Cour de justice précise que « la validité et la portée d’un tel droit réel doivent normalement se déterminer en vertu de la loi du lieu où se trouve le bien faisant l’objet dudit droit » (considérant n° 18). Donc c’est au droit national de l’Etat où est localisé le bien, en l’occurrence au droit allemand, qu’il revient de qualifier le droit en cause de droit réel. Il n’y a pas ainsi de définition européenne de la notion de droit réel au sens de l’article 5 du règlement n° 1346/2000. Cependant, – et c’est tout l’apport du présent arrêt – la cour établit des critères que doivent remplir les droits qualifiés de réels par la législation nationale pour relever de l’article 5. La Cour de justice distingue donc entre les droits qualifiés de réels par la législation nationale applicable mais ne relevant pas de l’article 5 et ceux qualifiés de réels par la législation nationale applicable mais relevant de l’article 5 parce qu’ils vérifient les critères définis par la Cour de justice. Quels sont ces critères qui doivent être vérifiés par les juridictions nationales pour justifier l’application de l’article 5 du règlement n° 1346/2000 ? Ils sont au nombre de trois : le droit doit grever « directement et immédiatement un bien » (en l’occurrence un immeuble) ; ce droit doit permettre l’exécution forcée sur le bien en cause et enfin, il doit conférer la qualité de « créancier privilégié » à son titulaire (considérant n° 23). La Cour de justice constate qu’en l’occurrence la « charge foncière » du droit allemand vérifie bien ces trois critères et qu’elle constitue ainsi un droit réel relevant de l’article 5 du règlement n° 1346/2000. En revanche, n’est pas un critère, selon la Cour de justice, la nature commerciale, fiscale, sociale ou autre des créances garanties par le droit réel comme le soulevait la Commission européenne. Pour la Cour de justice, l’interprétation stricte devant présider à l’interprétation de l’article 5 qui est une exception au principe de l’universalité de la procédure d’insolvabilité principale, n’implique pas de limiter le champ d’application de cet article aux seuls droits réels garantissant une créance résultant d’une transaction commerciale. A juste titre, la Cour de justice de l’Union européenne précise que ce serait instituer une discrimination entre créanciers selon l’origine de leur créance qui serait contraire d’une part, au principe d’égalité de traitement des créanciers prévu par le règlement n° 1346/2000 et d’autre part, à son objectif de confiance légitime et de sécurité des transactions. C’est donc une décision parfaitement ciselée et équilibrée qui est rendue dont la portée s’étend au nouveau règlement n° 2015/848 du 20 mai 2015 qui reprend intégralement les dispositions de l’article 5 du règlement n° 1346/2000 dans son article 8.