Les conséquences juridiques et fiscales du Brexit

Le Brexit étant désormais non seulement définitivement acquis mais aussi déjà entré dans sa phase active, il est grand temps d’une part, de passer de la polémique à l’analyse et d’autre part, que les juristes se saisissent du sujet pour tenter, à leur modeste place, d’en mesurer les conséquences à l’égard du droit applicable aux sociétés. Tel fut l’objet des réflexions du colloque organisé à la Sorbonne, le 16 mars 2017, par l’association des étudiants du Master 2 « Opérations et fiscalité internationales des sociétés » de l’Université Paris 1 qui a donné lieu à la publication d’un dossier au numéro de juillet-août 2017 du Bulletin Joly des sociétés (p. 482 à 504).
On le sait, le Brexit constitue une première puisque depuis l’origine remontant au traité de Rome de 1957, jamais un État membre n’avait décidé de quitter les institutions européennes et plus généralement la construction juridique européenne. La période de deux années ouverte par la mise en œuvre de l’article 50 TFUE par Madame Theresa May le 29 mars 2017 est pleine d’incertitude et nombre de commentateurs ont souligné qu’il s’agissait d’un saut dans l’inconnu.
Bien évidemment, ce n’est qu’à l’issue de cette période de deux ans que seront connues précisément les nouvelles conditions juridiques gouvernant les rapports entre les acteurs économiques britanniques et européens. À ce titre, on peut hésiter entre le tout ou rien : tout, c’est-à-dire un accord de libre-échange approfondi correspondant à un soft Brexit ou rien, synonyme d’un hard Brexit, à savoir aucun accord trouvé, les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne n’étant alors régies que par les dispositions de l’OMC. Or c’est plutôt un hard Brexit qui est anticipé aujourd’hui par acteurs économiques, en raison de l’ampleur des difficultés de mener une telle négociation dans un délai finalement assez court. À cet égard, en précisant les tenants et les aboutissants de cette négociation, Benoît Fleury (« Le Brexit sous l’angle de la négociation : de l’inévitable échec à l’indispensable accord », BJS juill.-août 2017, p. 483) permet de mieux en mesurer la complexité.
Mais, alors même que les négociations n’ont pas encore véritablement débuté, une première analyse des conséquences juridiques et fiscales relatives aux sociétés peut dès à présent être établie. Ainsi, comme l’examine de manière détaillée Thomas Mastrullo (« Les effets du Brexit sur le droit d’établissement des sociétés », BJS juill.-août 2017, p. 487), le Brexit emportera nécessairement des conséquences sur le droit d’établissement des sociétés de droit anglais en Europe et inversement sur les sociétés soumises au droit d’un État membre établies au Royaume-Uni. Ces conséquences ne seront d’ailleurs pas négligeables puisqu’elles affecteront tant la reconnaissance des sociétés et la loi qui leur est applicable que leur mobilité par transfert de siège social ou par fusion transfrontalière. En effet, le Royaume-Uni n’aura plus à suivre la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, déterminante en matière de droit d’établissement des sociétés, et pas davantage la directive fusions transfrontalières des sociétés de capitaux du 26 octobre 2005 qui permet la réalisation de telles opérations.
Sans parler des personnes morales européennes, au premier rang desquelles la société européenne, qui voient leur champ d’application territorial se réduire par le départ du Royaume-Uni, ces personnes morales ne pouvant plus être constituées sur le territoire de cet État après sa sortie de l’Union européenne comme l’explique clairement Catherine Cathiard (« Le devenir des personnes morales européennes au prisme du Brexit », BJS juill.-août 2017, p. 492).
Le Brexit emportera aussi des conséquences fiscales mais peut-être pas aussi importantes que supposées comme le révèle l’analyse précise de Nathalie de Vernejoule et de Julien Saïac (« Brexit : quelles incidences fiscales peut-on anticiper ? », BJS juill.-août 2017, p. 497). Il est vrai qu’en matière fiscale, l’harmonisation européenne n’est pas allée aussi loin que dans d’autres domaines. Ainsi, la fiscalité des versements intragroupes de dividendes, intérêts et redevances ne devrait pas être tellement affectée, à tout le moins dans les relations franco-britanniques.
Mais l’étonnement vient du droit des sociétés cotées. Alors que le passeport européen est généralement présenté comme un des avantages essentiels du droit de l’Union européenne, celui-ci pourrait finalement s’avérer en pratique moins déterminant que prévu comme le démontre de manière éclairante Dominique Bompoint (« Quelles conséquences du Brexit sur les marchés financiers français ? », BJS juill.-août 2017, 501). Dès lors, la balance en vient à pencher de l’autre côté. Débarrassé des contraintes du droit européen, le droit anglais, et donc le marché de la City, pourrait faire, à l’encontre de ce qui est pressenti, une concurrence encore plus sérieuse aux marchés continentaux restés dans l’orbite du droit européen. Ce n’est peut-être qu’un avant-goût d’autres surprises que pourrait réserver le Brexit sur le terrain du droit !